Libéré, le grand-père revient en France. Il rejoint à Paris sa fiancée Clotilde Beauzée, notre grand-mère, et ils se marient à l’église d’Alésia (ce que les grands-parents ne manquaient jamais de signaler lorsque nous passions devant).
Le grand-père était né en 1891 à Sivry-sur-Meuse, d’une longue lignée de paysans.
J'ai retrouvé dans mon "cahier de famille", que j'ai écrit quand j'avais une douzaine d'années, quelques détails sur ses parents et grands -parents.
Son grand-père paternel, Jean-François Dormois, était né en 1830. Il était barbier. Avec sa femme Hortense, ils habitaient Strouville, au bout de Sivry.
Je ne résiste pas au plaisir de mettre ici la copie de ce qui est écrit sur Hortense, malgré la piètre calligraphie. Il s'agit d'un brouillon, que je n'ai pas mis au propre, contrairement au reste du cahier... Mais on voit à la fin une phrase écrite de la main du grand-père, car elle rapporte ce qu'a dit Hortense après le fâcheux incident relaté, en patois lorrain, que sans doute je n'arrivais pas à transcrire.
Son grand-père maternel, Louis Hanse, "était courrier. Il transportait les lettres de Sivry à la gare de Vilosne, dans une carriole à cheval. Son passe-temps était de jouer au billard, oubliant parfois le courrier... Quand sa femme Catherine en colère entrait dans la salle, il se cachait sous le billard. Elle disait "V n'avèmes vu le Louis?" (N.B. écrit aussi de la main du grand-père)". Sur sa grand-mère: "la Catherine Vaudois était célèbre pour ses "tartines", à la confiture, au jambon... C'était de pauvres gens. La Catherine, veuve de bonne heure, se suffisait d'une poire cuite et d'un bout de pain".
"Son père, Eugène, était coiffeur. Il demandait 100 sous par an pour raser une fois par semaine. Il faisait une petite culture, un cheval et deux vaches, sans compter les cochons et la basse-cour. Il était aussi musicien: il jouait du cornet à piston dans les bals les fêtes et pour les noces, accompagné d'un joueur de clarinette et d'un contre-bassiste. Sa grande réputation parmi les enfants était celle de raconteur d'histoires. Surtout celles du Colas Brout. Il fallait l'entendre raconter "le poulet", où le Colas Brout déploie sa ruse ou bien "le plumeron" où le Colas Brout est couché avec sa femme et soudain la tempête se lève et le plumeron disparaît...(le texte s'interrompt ici, et il n'y a rien sur la mère du grand-père, Marie Hanse)."
Ces lignes que j'ai sans doute écrites sous la dictée du grand-père sont bien brèves pour raconter des vies, c'était j'imagine des détails propres à intéresser une petite fille de 12 ans que donnait le grand-père. Sans doute aussi n'ai-je pas tout noté.
Il n'y a rien sur la mère du grand-père, ni sur le grand-père lui-même. A cet âge, alors qu'il était encore bien vivant, probablement ne me semblait-il pas nécessaire de l'interroger sur sa propre vie. J'ai aussi écrit sur les parents et aïeux de mamye, mais rien sur elle. C'est bien plus tard que je l'interrogerai et l'enregistrerai.
Mais heureusement nous savons beaucoup de choses sur la vie du grand-père, que nous avons bien connu. Michel a écrit sa biographie sur Wikipedia. Les lignes qui suivent en sont largement inspirées. J'ai ajouté les détails de nos souvenirs d'enfance.
Très jeune, il est remarqué par son instituteur qui le pousse à faire l’Ecole Normale dont il sort diplômé à 19 ans. Mais à peine a-t-il commencé à exercer, après avoir fini son service militaire au Bataillon de Joinville en tant que gymnaste de haut niveau, qu’il est mobilisé pour la guerre qui vient de se déclencher.
A son retour de captivité, lui et mamye s'installent à Dannevoux, où il a été nommé.
Durant plus de 30 ans, il instruira des générations d’élèves. C'est un professeur exigeant, sévère même, mais "tous les élèves qu'il préparait au certificat d'études l'obtenaient", disait mamye. Il est un de ces « hussards de la République » de Jules Ferry, qui contribuèrent tant à développer partout en France une éducation de masse, empreinte d’exigence et de valeurs humanistes et républicaines.
Il faut dire ici un mot des instituteurs dans la Première Guerre, du rôle de l’Ecole Normale dans le développement du sentiment patriotique qui, il faut bien le constater, poussa Léon à s’évader trois fois pour regagner le front.
"Beaucoup a été dit sur les instituteurs pendant la Première Guerre mondiale : leur comportement exemplaire sur le front, malgré le pacifisme que certains leur avaient leur prêté avant la guerre, le patriotisme de leur Fédération, mais aussi la propagande effectivement pacifiste de certains des éléments syndicalistes les plus avancés."*
Le grand-père, paraît-il, était socialiste dans sa jeunesse. Quand je l’ai connu, moi, il me semblait bien « réactionnaire ». En tous cas, il se disait croyant. J’entendais dire que dans la vieillesse, on devient souvent croyant par peur de la mort. (Je me demandais si cela m’arriverait aussi).
A la retraite, il continue à se dévouer pour le bien public, en étant secrétaire de mairie et correspondant de L'Est républicain, le grand quotidien de Nancy.
Lui et mamye auront 5 enfants (le dernier, le petit Michel, mort en bas-âge) et 7 petits enfants, dont il suivra attentivement l’évolution. Il s’éteint en 1971.
Notre grand-père était curieux de tout et de tous, jouait du violon et lisait tout ce qui lui passait sous la main. Il discutait inlassablement avec tous ceux qu’il pouvait rencontrer au cours de ses balades en Solex sur les routes meusiennes, mais aussi dans le train quand il venait nous voir à Paris ou ailleurs. Ce qui faisait enrager la mamye, aussi réservée qu'il était sociable... ("Il a encore fallu qu'il parle à tout le monde dans le compartiment!")
Il aimait les langues étrangères. Il parlait couramment l'allemand, il apprenait l’anglais. A 70 ans il s'est mis au russe! Sans doute quand moi-même ai-je commencé à l'apprendre à l'âge de 12 ans. Je le revois avec sa méthode Assimil. Et c'est sans doute dans ces moments qu'il me parlait de son compagnon d'évasion russe. Et qu'il m'a montré la lettre qu'il avait reçue de lui après la guerre.