<![CDATA[Evasion à Königstein]]>https://evasion-a-konigstein.site/https://evasion-a-konigstein.site/favicon.pngEvasion à Königsteinhttps://evasion-a-konigstein.site/Ghost 3.13Wed, 08 Oct 2025 19:20:31 GMT60<![CDATA[25. Merci à nos lecteurs]]>

Les réactions de nos amis qui ont lu le blog et nous ont fait part de leurs impressions nous ont encouragés dans la poursuite de sa rédaction. Nous les remercions ici chaleureusement.

Ils ont pu avoir  une vision d’ensemble de cette histoire, quand nous, nous avancions en rassemblant les

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https://evasion-a-konigstein.site/25-merci-a-nos-lecteurs/5fbe95c317a1f4128daf2876Wed, 25 Nov 2020 17:36:24 GMT

Les réactions de nos amis qui ont lu le blog et nous ont fait part de leurs impressions nous ont encouragés dans la poursuite de sa rédaction. Nous les remercions ici chaleureusement.

Ils ont pu avoir  une vision d’ensemble de cette histoire, quand nous, nous avancions en rassemblant les pièces d’un puzzle et en essayant sans cesse de nous mettre « dans la peau » des personnages. Ce regard plus distancié leur  a permis de saisir des aspects qui apportaient encore, à nous les auteurs,  plus de relief et de profondeur à nos personnages.

Françoise D.

Magnifique travail, récit très prenant jusqu’à la dernière page qui livre une des clefs du silence de Vladimir sur son camarade d’évasion. Mais je suis de l’avis de Véronique : pour cette génération qui a vécu sous une chape de plomb, tout ce qui avait trait au monde d’avant était souvent tabou. Et quand ce monde d’avant comprenait un épisode, même involontaire, dans l’empire du mal, il valait mieux l’oublier. Quant à avoir tissé des liens d’amitié avec l’un de ses représentants, le prix à payer pouvait être très élevé. Pas étonnant que Vladimir n’ait pas souhaité faire partager à ses enfants un souvenir aussi toxique.

Oui, tout cela laisse un goût amer. Une vie non pas tragique, comme pour des millions de ses contemporains, mais une vie triste, comme étouffée, confinée j’allais dire.

Mon père, dans ses 5 années d’oflag a fait une quantité de tentatives d’évasion. Il a failli réussir la dernière,  à été ramené au camp puis expédié dans un camp de représailles. Je remercie le ciel de lui avoir donner des gardiens si efficaces, qui l’ont empêché de rejoindre la Résistance et de subir le sort de ton autre grand-père.

Après la lecture du chapître 23 :  Ces photos sont incroyables. La dernière déborde de vie. Les deux prisonniers ont vraiment fière allure, sûrs d’eux, souriants.

Jacques F.

J'ai été sensible à la manière vivante et convaincante avec laquelle tu ranimes, Françoise, les personnages de Vladimir Gabbine et de ton grand père, l'officier d'extraction bourgeoise courageux mais hésitant et le paysan éveillé et déterminé, persuadés tous deux que leur devoir d'officiers résidait dans l'évasion.

J'ai admiré aussi la profondeur psychologique de tes analyses et supputations quant aux motivations possibles de Vladimir Gabbine et de sa famille, après que tu aies eu connaissance de détails sur son second mariage, malheureux.

C'est un véritable roman qu'on pourrait écrire là, et peut-être as-tu songé à le rédiger.

En tous cas, félicitations à tous deux pour l'esprit de suite et le talent de limier que vous avez déployés dans cette aventure finalement aussi émouvante qu'amusante.

Pouvoir faire cela aujourd'hui sans l'angoisse et la tension qui règnent parfois et régnaient généralement en d'autres temps dans ces recherches familiales, et ce avec la complicité efficace des moyens techniques modernes, c'est un véritable bonheur.

Katia, notre nièce d’Ukraine

Moi non plus, comme tante Françoise, je n’aime pas les livres ou les films sur la guerre. Mais ici tout est décrit de façon apaisée. Néanmoins l’émotion vous saisit, en imaginant cette forteresse avec ses froides casemates, ses rochers abrupts. Et comment pouvait-on fuir quand partout il y avait ces Allemands cruels ? Je me souviens que tante Françoise disait que même si elle n’aimait pas les films de guerre, elle avait aimé la série soviétique « les 17 instants du printemps » ; après avoir lu votre récit, j’ai envie de voir « La grande illusion ». Merci pour ce livre ; j’attends la suite...

Sylvain G.

J'ai achevé hier soir le récit consacré à l'évasion de ton grand-père maternel, Léon Dormois, lequel m'a vivement intéressé. Du beau travail dans l'ensemble quoique le montage final ne soit pas totalement exempt, selon moi, de quelques petits reproches, notamment quelques digressions çà et là qui m'ont parfois un peu déconcerté. Par ailleurs, la partie consacrée à l'évasion proprement dite est un peu frustrante car d'une briéveté exemplaire mais il était quasiment impossible de la développer plus avant avec le peu d'éléments dont tu disposais.
En revanche, la partie consacrée à l'enquête relative au destin ultérieur de Vladimir Gabbine m'a véritablement tenu en haleine et compense largement tout ce qui a pu auparavant ne pas rencontrer mon assentiment total. Mes compliments à l'Inspecteur Volodia, il a vraiment fait du bon boulot ! C'est vraiment extraordinaire d'avoir pu retrouver la famille Gabbine et son fils en particulier. Quel témoignage incomparable aussi bien sur le plan personnel qu'historique ! Il existait qu'un très faible nombre de chances de parvenir à une telle opportunité mais vous y êtes arrivés.

Christine C.

Le récit est intéressant et toujours bien illustré, l'écriture est fluide et j'ai suivi comme vous avec curiosité l'aventure de Léon et Vladimir

Quelle chance tu as eue que tes recherches aboutissent, en France comme à Moscou. Parfois, j'avais l'impression de lire une fiction mais comme tu m'avais raconté avec beaucoup d'enthousiasme cette histoire réelle, je me suis dit que j'avais envie de lire une suite.

Bravo à tous les deux. Le confinement vous a permis d'écrire une belle histoire en héritage, pour Alexis.

Un éditeur serait de mon avis.

Marie-Do B.

vendredi 1er mai 2020

Je viens d’achever le chapitre 21 ce qui m’incite à vous faire part de ma plus grande admiration pour ce récit passionnant que j’ai lu en échelonnant dans le temps l’impression des chapitres afin de faire durer le plaisir.  La lecture de l’ensemble répond à des questions que l’on a pu se poser au début, en lecture fragmentaire : comme celle que j’avais soulevée sur la longueur du document historique sur les 3 jours au chapître 5 mais plus loin, en parlant de l’influence de l’école de Jules Ferry sur le nationalisme partagé par la génération de ton grand-père, on trouve réponse à la question : quel regard portait-il sur cette guerre que nous voyons maintenant comme une pure tuerie de masse.

On comprend aussi vu l’insertion de nombreux passages de documents historiques au fil de votre récit, qu’il y a une alternance de locuteur entre le « je »et ce « nous » qui nous semble être un « ils ».

Au chapitre 8, on accompagne votre admiration pour le courage et l’acharnement du grand-père, d’autant plus que les photos nous donnent à mesurer l’ampleur du défi !

Cela s’approfondit dans le chapître  9 grâce aux archives de la Croix rouge : ce n’est pas seulement Internet qui est épatant, c’est votre manière d’y chercher, et donc d’y trouver l’approfondissement en question. Tout au long de la lecture de votre récit, j’ai d’ailleurs beaucoup apprécié cette mise en perspective de l’information par le cheminement explicite des enquêteurs, cela rend très vivant cet écrit.

L’émotion et le suspense me gagnent au chapître 11 : émotion devant les choix cruciaux mais aussi cruels il faut le dire, qu’imposent les temps de guerre et de vie confinée. C’est éprouvant, les choix n’en sont pas, les êtres, pris au piège des circonstances, font ce que la vie à ce moment là leur impose, des actes qu’ils pourraient regretter plus tard : mais alors, les circonstances auront changé, et il serait fallacieux de mesurer hier aux conditions d’aujourd’hui. Votre récit évite ce piège.

Le suspense encore me conduit au chapître13 : important, il met en évidence ce que l’on a appris par la suite, après l’idéalisation du régime soviétique, le règne de la peur et l’arbitraire des enfermements des contestataires, hélas.

Le chapitre 14 approfondit ces liens entre une histoire personnelle dont la quête est votre moteur, et l’Histoire et ses excès avec « sa grande H » comme l’écrit si justement Perec.

15 : c’est un chapitre qui gâte vraiment les lecteurs ; du tableau historique en passant par toutes ces photos et le portrait final, nous sommes vraiment en voyage dans des régions lointaines dont tout nous est inconnu ; lointain, superbe, déconcertant, on se dit que vous devez avoir envie d’y aller ! l’image finale du « paradis perdu » pour celui qui vous en a révélé l’existence confirme notre impression.

Le chapitre 16 qui nous fait avancer dans la compréhension de ce qu’a vécu Vladimir, nous permet aussi de prendre avec vous du recul sur le mystère de la lettre sans réponse, mystère douloureux mais encore une fois instructif sur le chamboulement des émotions et comportements en période de guerre.

Au chapitre 17 on en apprend beaucoup sur le régime de la Tchéka à travers le destin de Vladimir G mais aussi du malheureux frère de Kerensky. Beaucoup de questions prolongent la lecture de ce chapitre, bien sûr sur cette violence d’Etat, et sur les contradictions qui ont dû précéder cette période, en particulier entre l’Eglise et le peuple ?

Au chapitre 19 revient cette lancinante peur qui suscite toutes les censures, y compris dans la transmission du vécu à ses proches, la chappe de plomb. Je suis aussi sensible à un autre aspect : celui de la solidarité familiale fissurée par la crainte des conséquences d’un geste d’humanité. Cela me remet en mémoire un propos dur de ma mère qui disait que le malheur ne rapproche pas, il sépare ; cruelle expérience qu’elle a eue alors qu’elle a tout fait pour que notre famille vive l’inverse. Mais on mesure combien les circonstances jouent dans nos comportements et combien est fragile l’idée de liberté. Car dans ce récit d’enfermement, le courage du grand-père le libère de la prison mais non de l’idéologie nationaliste qui faisait s’exclamer à Apollinaire « Dieu que la guerre est jolie », absurdité s’il en est. Quant à Vladimir, c’est justement cette peur sinon même cette terreur qui l’enfermait.

Le rebond du chapître 20 sur les liens père-fils grâce à votre enquête, est proprement formidable ! J’y vois une dimension universelle au-delà de la dimension personnelle. Que de silences, de secrets de famille inexpliqués et comme cristallisés en glace, mais voilà qu’un regard extérieur survient, ici le votre avec votre amicale curiosité, et soudain le dégel arrive. Combien vivante et propagatrice de vie est votre enquête !

La provisoire conclusion du chapître 21est prenante et belle. Le lien rétrospectif sur ta présence à Moscou en 1977 au moment où tu aurais pu rencontrer Vladimir, puisque nécessairement enregistré (ce que l’on apprend si l’on n’est pas familier des pratiques administrativo-politiques de la Russie) et donc ce que tu aurais pu en connaître de plus… tout cela est le bien connu vertige du ET SI… mais il est bienvenu que vous n’y recouriez que dans ce dernier chapitre. La réflexion entrelacée sur l’enfermement du GP et de Vladimir, et la finalisation de votre écrit dans le contexte de ce confinement de 2020 est un moment de méditation que la lectrice encore confinée que je suis, partage totalement. Tout cela sonne très juste, et l’on mesure combien cette énergie a pu vous apporter de moments hors du temps bienvenus eux aussi pour sortir de l’étouffement.

Vassia C. (mon ancien élève et maintenant ami)

Je vous remercie de m'avoir permis de lire votre histoire qui m'a fait délirer; j'ai vraiment beaucoup beaucoup aimé lire votre travail, c'était un moyen de vous connaître un peu plus d'abord, et de voir autrement une facette de l'histoire contemporaine de la Russie. C'était une lecture haletante et très émouvante, je ne sais pas, Vladimir et vous semblez avoir écrit avec tellement de sincérité que je vous sentais vibrer en lisant.

Comme vous dans le récit, je n'arrêtais pas de penser à"La grande illusion"! Et je suis assez frappé pour le curieux dénouement de l'histoire: dans les romans, dans les films, on voudrait que les deux héros se retrouvent, longtemps après. C'est ce qui arrive avec Jules et Jim ou dans Colonel Blimp dont les situations sont bien différentes. Mais dans votre récit, il y a quelque chose de terrible dans le fait que les deux héros, Léon et Vladimir, ne se retrouvent pas, ne s'écrivent plus. Il y a comme un trou noir inexploré et peut-être "inexplorable", un vrai mystère que vous pointez: au-delà de leur évasion et de la guerre qui les ont unis tous en les séparant, que se sont-ils dit, à quoi pensaient-ils chacun de retour dans leur pays ? Il y a quelque chose de terriblement humain dans leur séparation et leur éloignement, et je suis assez soufflé par votre constat des différences que chacun a vécu dans son pays et que l'autre a sans doute ignoré. C'est ainsi très fort de lire et mettre en parallèle ces deux destinées.

D'autre part, j'ai été aussi frappé par quelque chose, que je savais déjà mais que je ne m'étais jamais formulé ainsi ou que je ne m'étais pas raconté comme ça, qui est justement la différence des vies que Léon et Vladimir ont trouvé après la guerre. Comment dire: ils vivent la même merde et, une fois que la guerre est finie et qu'on espère vivre enfin, vivre mieux, vivre heureux, ce n'est pas du tout le cas, du moins pour Vladimir Gabbine. Comment dans un même monde peut-on vivre librement dans un pays et aussi contraint dans un autre ? Vous me trouverez bien naïf, mais c'est une question qui me hante tous les jours parce qu'elle se pose tous les jours, à travers tous les contrastes que l'on rencontre.

Comme vous l'aviez dit, l'histoire de Vladimir Gabbine explique beaucoup de choses aussi de la vie en Union Soviétique; et c'est assez rare pour moi de découvrir l'histoire de l'URSS autrement que par des films ou des livres, qui racontent quelque chose de la réalité, mais dont la vision peut être biaisée par le point de vue.

C'est une histoire qui ferait un vrai roman, un vrai film (une fiction ou un documentaire). En lisant, j'ai compris pourquoi vous étiez chaque fois en République Tchèque toutes les fois où je vous appelais ces dernières années. Je me disais: Françoise doit y avoir de la famille, des amis, ou bien même une datcha... Eh bien, d'une certaine manière, un peu les trois, n'est-ce pas ? Si Königstein peut-être considéré comme une datcha...

Je suis très heureux d'avoir lu votre récit et je vous encourage à le poursuivre puisqu'il est "à suivre"!

Anne-Marie A.

Je l'ai commencé aujourd'hui et je ne l'ai presque pas lâché, je ne vous ai pas quittés dans cette quête qui semblait vraiment difficile ...Tout m'a passionnée : l'idée de profiter du confinement pour écrire, le ton si juste, vos questions, vos réflexions, vos doutes, et le suspense, plaisir partagé quand vous avez des indices,  des informations..... vous parcourez le siècle et les lieux. Vous donnez envie de faire des rencontres, de lire et de voyager.

Je le relirai avant de vous retrouver (grandi avec un grand-père gravement blessé en 1914-18) et j'ai  apprécié lire aussi les commentaires des cousins et de vos amis, avec une "tendresse" particulière pour celui de "l'élève".

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<![CDATA[24 . Octobre 2020 : le rapport du colonel Friedrich von Tschirschky und Bögendorff, commandant de Koenigstein]]>

Lors de notre  premier échange avec Herr Busse nous avons visiblement sous-estimé son intérêt pour l’évasion de notre grand-père. Peut-être qu’au début  il ne voulait pas nous donner trop d’espoir quant à  la possibilité de retrouver dans les archives des documents concernant cette histoire. Mais avec les

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Lors de notre  premier échange avec Herr Busse nous avons visiblement sous-estimé son intérêt pour l’évasion de notre grand-père. Peut-être qu’au début  il ne voulait pas nous donner trop d’espoir quant à  la possibilité de retrouver dans les archives des documents concernant cette histoire. Mais avec les photos de Léon et Vladimir il a dépassé les plus osées de nos attentes. Et, en plus, notre cher Busse est allé chercher dans les archives de Dresde. Et il a trouvé ! Il a trouvé le rapport d’enquête du commandent de la forteresse, le colonel von  Tschirschky. Et il nous l’a transmis  le 9 octobre 2020.

En voici la traduction :

Le lieutenant d'infanterie russe Vladimir Gabbin et le lieutenant  de réserve français du 25e bataillon de chasseurs à pied Léon Dormois ont  secrètement conçu pendant plusieurs mois un projet d’ évasion et fabriqué une corde pour descendre  de la forteresse afin de se rendre dans un village près de Prague, où Gabbin a une connaissance qui, espérait-il, les aiderait à passer d'abord en Suisse et de là dans leur patrie.

Ils ont secrètement et sans autorisation volé le matériel pour la corde dans les  bâtiments de la forteresse, l'ont acheté sous de faux prétextes dans les cantines et chez les marchands autorisés ici. Ils fabriquaient les différentes parties de la corde à l’ étage supérieur de leurs quartiers communs la nuit dans l'obscurité et cachaient progressivement les morceaux réalisés.

Ils ont choisi la nuit du 15 du mois de mai pour effectuer leur évasion, car à ce moment-là il y avait une tempête. Ce soir-là, ils se tinrent  loin de leurs quartiers et se retrouvèrent  dans leur cachette, dans une gaine d'aération au sous-sol de l'infirmerie, où ils avaient dissimulé leurs vêtements civils, pantalons, vestes en loden et chapeaux de feutre secrètement acquis. Ici, jusqu’à minuit environ, ils ont assemblé les différentes parties de la corde, jusqu’à ce qu’elle atteigne la longueur de  63 m. Vers deux-trois heures du matin, ils sont sortis de la gaine d'aération, emportant la corde avec eux, et se sont rendus vers le  parapet mural du côté de l'Elbe, en évitant tous les gardes de nuit.

De là, ils ont sondé la falaise à l'aide de la corde saisie au milieu pour trouver un endroit approprié pour descendre. Ils ont finalement choisi une embrasure du mur entre Friedrichsburg et le grand arbre qui se trouve dans les jardins privés de la Nouvelle Armurerie. A cet endroit l’a-pic est de 16 m jusqu'à une corniche rocheuse à partir de laquelle on peut continuer la descente à pied. Ils ont enroulé la corde autour de la traverse de fer d’une meurtrière et ont glissé l’ un après l’autre sur la double corde jusqu'à la corniche, d'où ils ont tiré la corde vers le bas et l'ont cachée dans les feuilles.

De la corniche, ils ont atteint le chemin de patrouille à pied et ont marché, évitant les routes et les villes, en remontant le Bielagrund au-dessus de la frontière Saxe / Bohème jusqu'à Peterswalde, où ils ont été arrêtés par un gendarme dans l'après-midi en raison de leur apparence suspecte et ont rejoint le commandement militaire. Là, ils ont été nourris.

Le lendemain, tous deux ont été transférés à Leitmeritz puis ramenés ici. Ils ont alors été déférés devant le tribunal, qui les a arrêtés. Le processus est toujours en cours. Les réfugiés ont reconnu les faits. Il n'y a aucune preuve qu'ils aient eu des confidents ou des complices. Au contraire, on peut supposer qu'ils ont gardé les préparatifs de l’évasion et son exécution strictement ignorés de leurs camarades. Au sujet de savoir si et dans quelle mesure les fournisseurs des deux réfugiés ont agi en violation de leurs obligations, l'enquête judiciaire n’est pas encore terminée.

Comme motif de fuite, Gabbin et Dormois ont déclaré que, dans leurs cercles d'officiers, on considérait qu’un  officier prisonnier de guerre avait l’obligation d'essayer par tous les moyens de retourner au sein des troupes. C'est de ce point de vue qu'ils ont agi lorsqu'ils ont fui. Les deux officiers avaient toujours fait preuve  jusqu’à leur fuite  d’un comportement irréprochable.

                                                                                                                     par Tschirschky

                                                                           Colonel et commandant de la forteresse


Archives principales de l'État de Saxe, Dresde, Dossiers généraux, prisonniers de guerre, n ° 9644 (SHStA: 11348)

Comme il est passionnant le travail de l’historien! Vous avez un document et vous devez démêler le vrai du faux. Car il est évident - nous le savons  si nous nous rappelons  le récit du grand-père - que nos fugitifs ont menti pendant leur interrogatoire: sur la provenance du matériel pour fabriquer la corde, sur la corde elle-même et sa longueur, sur les complicités de leurs camarades, sur le lieu d’évasion… mais ils ont dit aussi des choses vraies: sur l’itinéraire de leur fuite, par exemple.

Sans doute pour éviter des représailles envers les commerçants, ils disent avoir volé le matériel de la corde, alors que d’après le grand-père ils l’ont en partie acheté. Pour les vêtements, ils s’agissait sans doute d’un trafic illicite.

Mais leur souci principal était de couvrir leurs camarades: la corde devient longue de plus de 60 m pour pouvoir être pliée en deux et retirée sans l’aide de complices...

La corde ! La question de sa longueur revient sans cesse. Herr Busse s’étonnait que dans l’enregistrement Léon la décrive comme longue d’une vingtaine de mètres, alors que l’a-pic est de 40 m près de l’infirmerie. Seraient-ils descendus à l’endroit qu’ils ont mentionné lors de leur interrogatoire? Volodia pense qu’ils mentionnent cet endroit ( d’un accord convenu avant même l’évasion au cas ou ils seraient pris) pour s’éloigner de l’infirmerie – lieu réel - et de la mise en cause probable des officiers russes qui les aidaient.  Mais que faire avec l’affirmation de Busse? Ce mystère-ci, sans doute,  restera entier.

En lisant ce rapport, on a la vague impression que Von Tschirschky certes fait son devoir, annule la première condamnation à deux mois de forteresse (ils seront donc rejugés), mais ne cherche pas à charger plus qu’il ne faut les deux officiers, qu’il admet presque leurs explications – pas de complices - à partir du moment où ils reconnaissent les faits et disent avoir agi selon le code d’honneur militaire.

On a l’impression que le colonel Friedrich von Tschirschky und Bögendorff, représentant d’une vieille famille aristocratique silésienne remontant au XIIIème siècle, agit encore par rapport aux prisonniers avec ce code d’honneur de l' officier, qui va bientôt disparaître, emporté par la folie hitlérienne1.

Lui-même mourra à Dresde en 1920  mais certains membres de cette famille résisteront à cette folie.

En 1934, Fritz Günther von Tschirschky, diplomate allemand, est arrêté lors de la Nuit des Longs Couteaux et détenu quelques jours au camp de concentration de Lichtenburg. Il aura la vie sauve grâce à l'intervention de son oncle Johan-Paul van Limburg Stirum qui afficha une très grande hostilité au nazisme et refusa catégoriquement de rencontrer Hitler . En 1935, il quitte l'Allemagne pour se réfugier à Londres, puis à Paris.

En 1944, deux cousins descendants directement de la famille von Tschirschky, Albrecht von Hagen (1904-1944) et Max Ulrich von Drechsel (1911-1944) n'auront pas la même chance et seront exécutés par pendaison à Berlin, à un mois d'intervalle. Ils furent reconnus coupables de l'attentat et du complot du 20 juillet 1944 contre Hitler.


Le fils du colonel von Tschirschky Gustav-Adolf, lieutenant de l’armée allemande, mourut au combat en avril 1918, à l’âge de 20 ans, près de La Neuville. Il est enterré près de Péronne.



1Il ne faut pas oublier que les germes de cette folie ont été aussi semés en Europe par  nombre de grands et petits aristocrates comme le  cousin germain de notre colonel, le comte Heinrich von Tschirschky und Bögendorff, ambassadeur d’Allemagne à Vienne, qui  en juillet 1914 va pousser l’Autriche, sur l’injonction de l’Empereur Guillaume, à attaquer la Serbie après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo.

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<![CDATA[23. Août 2020: retour à Königstein]]>Au printemps 2020, nous attendons toujours des nouvelles de Königstein, du responsable des archives de la période 14-18, qui était en congé de maladie quand Bernhardt a téléphoné, durant l’hiver. Plusieurs mois passent et Bernhardt se décide à recontacter le musée. Le responsable est en effet revenu au travail,

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https://evasion-a-konigstein.site/23-aout-2020-retour-a-konigstein/5f68f9f717a1f4128daf2814Mon, 21 Sep 2020 19:21:53 GMTAu printemps 2020, nous attendons toujours des nouvelles de Königstein, du responsable des archives de la période 14-18, qui était en congé de maladie quand Bernhardt a téléphoné, durant l’hiver. Plusieurs mois passent et Bernhardt se décide à recontacter le musée. Le responsable est en effet revenu au travail, mais lui répond qu’il est occupé à rattraper son retard, et lui écrira quand il aura plus de disponibilité pour les recherches que nous lui demandons. Le temps passe encore, et l’espoir d’obtenir quelques éléments nouveaux, les photos par exemple dont avaient parlé ses collègues, diminue.

7 août 2020: un mail du musée parvient à Bernhardt, dont nous donnons la traduction:

Cher M. Wunrau,

Malheureusement, pour diverses raisons, ce n’est que maintenant  que je suis en mesure de répondre à votre demande et je dois vous décevoir immédiatement, car nous n'avons pas encore fait de recherches sur l'histoire du camp des officiers pendant la Première Guerre mondiale

Voilà ce qui est écrit dans notre «Chronique de la forteresse de Königstein, 3ème  partie, 1898 - 1930»:

«Le 15 mai 1915 à 2 heures du matin, tentative d'évasion du lieutenant français Dormois et du lieutenant russe Gabbin. Ils sont arrêtés par un gendarme autrichien à Aussig. Le 29 mai, le lieutenant français Dormois et le lieutenant russe Gabbin ont été condamnés chacun à 2 mois de prison.»

Malheureusement, nous n'avons pas d'autres sources ni même d'images et serions donc très intéressés si vous pouviez combler nos lacunes sur ce sujet.

Cordialement,

Ingo Busse, assistant scientifique

Nous sommes partagés entre la joie de voir qu’il y a des traces dans les archives et la déception: c’est tout ce qu’ils ont? Pas de photos? Ils nous demandent à nous de leur donner des informations… Ils n’ont pas encore étudié les archives de cette période? Il y a pourtant des photos dans leur musée. Bon, enfin, ils manifestent un intérêt pour nos documents. C’est déjà ça.

Volodia envoie les traductions de la lettre du grand-père et du script de l’enregistrement à Bernhardt, qui les traduit en allemand et les transmet à M. Busse.

Mais nous avons maintenant la date exacte de l’évasion, l’heure (2 heures du matin, le grand-père disait minuit, l’alerte a sans doute été donnée donc 2 heures après), et le lieu de leur arrestation, Aussig, appellation allemande de la ville tchèque d’Usti nad Labem. D’après la carte, ils ont parcouru entre 35 et 40 kms. 20 kms jusqu’à la frontière et un peu moins en Bohême, en territoire tchèque. Ils ont marché environ 16 heures. La région est montagneuse. Marcheront ils encore une vingtaine de kms avec les gendarmes jusqu’à Litomerice, le chef-lieu? Sans doute plutôt les emmènera-t-on en carriole.

En observant ce parcours, une idée surgit dans l’esprit de Volodia: dans l’enregistrement, le grand-père me demande si je connais la date de la bataille de Dresde (!!!…). Il l’évoque car, dit-il, après leur arrestation, sur la route le gendarme autrichien leur a montré, à ces prisonniers français et russe, un monument commémorant une bataille avec Napoléon liée à cet événement.

Mais que fait ce monument en territoire tchèque? Dresde est loin…

Recherche rapide sur internet: à cet endroit près du lieu-dit Kulm, à la suite de la bataille de Dresde du 26 et 27 août (gagnée par Napoléon), le 29 et le 30 août 1813 pour la première fois la coalition Russie-Autriche-Prusse va battre l’armée française (plus exactement le corps d’armée de général Wandamme). A partir de ce moment la chance abandonne Napoléon et il va perdre toutes ses batailles, de Leipzig à Waterloo. Cette victoire de Kulm est devenue l’une de plus glorieuses dans la mémoire des Autrichiens, des Prussiens et des Russes.

Le village de Kulm s’appelle aujourd’hui Chlumec mais ce monument, construit en 1913, s’y dresse toujours, au bord de la route sur laquelle s’est terminée l’évasion de Léon et Vladimir. Maintenant nous pourrons presque refaire le chemin qu’ils ont parcouru depuis la forteresse: il faudrait juste savoir s’ils ont traversés la frontière et les montagnes en passant par Ostrov ou par Petrovice. Ainsi nous naviguons sur les cartes et essayons d’imaginer la route des deux évadés dans ces vallées et ces gorges.

20 août: un second mail nous arrive de Herr Busse!

Il a bien reçu le témoignage sur l’évasion de Léon, et veut avoir plus d’explications sur certains moments: où exactement se sont-ils cachés sous l’infirmerie? Et il note: à cet endroit, les fortifications font 37- 40 mètres. Comment ont-ils pu descendre avec une corde qui d’après Léon faisait 20 m?

Eh bien, cher Herr Busse, c’est de vous que nous attendions des explications sur l’exploit de notre grand-père!

Décidément, il faudra retourner et voir par nous-même, car nous n’aurons guère de détails éclairants. Nous lui répondons quand même en soumettant quelques hypothèses sur la façon de descendre le mur, et lui posons deux ou trois questions sur l’histoire de la forteresse, à tout hasard:

Dans le rapport de la Croix-Rouge de janvier 1915, il est dit qu’il y a eu une première tentative d’évasion par un officier français en 1870 et cet endroit s’appelle encore «crevasse des Français». Où se trouve cet endroit?

Léon parle du commandant de la forteresse, un certain «Von Kirski.» Peut-il nous donner quelques précisions sur cette personne?

Et qui était ce comte Bennigsen, qui suscite tant de déférence chez les officiers russes d’après le récit du grand-père, et avec qui celui-ci a fomenté sa première tentative d’évasion? Qu’est-il devenu après sa mise aux arrêts?

25 août: HerrBusse nous répond.

Rép. 1: Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1870, les prisonniers de guerre, les sergents Bonet, Bayot et Moizot, s'enfuirent. Ils avaient fabriqué une corde d'environ 20 coudées de long à partir de chemises, de pantalons de toile, de bretelles, de mouchoirs et autres. Ils grimpent sur le parapet de la Möserbatterie derrière le Friedrichsburg et y fixent deux barres transversales à partir d'un arbre. Les mêmes sont serrées dans la crevasse rocheuse sous la batterie mentionnée et la corde y est attachée à une extrémité. Ils descendent le long de cette corde à environ la moitié de la profondeur et, là, probablement, glissent plus bas en utilisant la crevasse et ils se retrouvent donc sur le chemin de ronde. En 1906, cet endroit a été muré.

Rép. 2: Le 12 août 1914, le colonel Friedrich Johann von Tschirschky und Bögendorff fut nommé commandant de Königstein. Il n'a été remplacé que le 30 septembre 1917 et libéré du service actif.

Rép. 3: Le comte Guéorgui Pavlovitch Bennigsen était l'un des propriétaires terriens les plus riches de Russie. En 1914, il est capitaine du régiment d’infanterie Nevsky de la 2ème armée du général Samsonov. Il est fait prisonnier à la bataille de Tannenberg.

A Königstein, il avait l’impression de vivre un calvaire et se tenait isolé de ses camarades, dans une solitude presque monacal. Il laissa pousser ses chevaux et sa barbe et ne portait qu'une vieille veste en cuir en lambeaux. Il parlait plusieurs langues; il traduisait des textes de l'anglais, du français, de l'allemand vers le russe. Il menait également ses propres recherches philosophiques. Les autres officiers «lui rendaient toujours les honneurs» lorsqu'ils le voyaient.

Le 6 juillet 1915, il fit sa première tentative d’évasion, fut repris et condamné à sept semaines de prison. Le 28 mai 1917, il fit sa deuxième tentative, mais fut repris en Westphalie.

Cette dernière réponse nous apprend donc de quel représentant de cette grande et célèbre famille Bennigsen il s’agit: Gueorgui Pavlovitch. Elle est accompagnée d’une photo du comte lors de sa détention à Königstein.

Comme ses trois frères, par son éducation, par son service dans la Garde impériale, il est au plus près de la cour du tsar.

Nous voyons ici son frère  Adam (à gauche), en compagnie du grand-duc Dimitri (au centre), cousin germain du tsar, qui participa à l’assassinat de Raspoutine avec le prince Youssoupov en 1916.

Il est par sa mère le petit-fils de la baronne Von Meck qui fut la mécène et protectrice de Tchaïkovski. C’est aussi un homme politique, député de la Douma élu en 1912 comme représentant la noblesse de la région d’Orel.

Si nous nous interrogions déjà sur les points communs qu’il pouvait y avoir entre Léon et Vladimir au-delà du désir d’évasion, la question est encore plus énigmatique en ce qui concerne le comte Bennigsen. Comment notre grand-père s’est-il rapproché de ce taciturne officier russe au sang bleu? Mystère…

26 août

Notre soirée d’hier s’est passée à enquêter sur le comte, dont la vie après la Révolution russe est également digne d’un roman. Et nous n’avons même pas remarqué que le mail de Herr Busse, qui répondait fort diligemment à nos trois questions, comportait deux pièces jointes.

C’est le 26 au matin que nous les trouvons. Il y a deux photos. Deux images inespérées.

La première porte une légende bien précise:

16 mai 1915: retour à la forteresse de Königstein de deux officiers prisonniers de guerre évadés dans la nuit du 14 au 15 mai.

Tout de suite, nous reconnaissons un des deux personnages: l’homme avec le drôle de chapeau, un genre de chapeau tyrolien, et qui tient sa main dans sa veste, nous l’avons déjà vu, sur la photo donnée par Gueorgui! C’est Vladimir Gabbine! Ou est Léon ? C’est sans doute le petit homme dont la silhouette apparaît derrière le soldat et qui porte un chapeau.

On reprend la photo de Gueorgui qui nous a tant intrigués lorsqu’il a dit qu’on y voit son père conduit sous bonne garde à Königstein après l’arrestation.

Et là on comprend tout. A gauche de Vladimir, mais derrière lui, il y a un petit homme avec un chapeau qui porte une chemise claire. C’est Léon ! Méconnaissable, mais c’est lui. C’est vrai, comme il disait, qu’ils sont habillés comme l’as de pique.

Nous ouvrons la deuxième photo avec la légende écrite par Ingo Busse: «17 mai 1915. Les prisonniers Dormois et Gabbine sont conduits du «hauptwache» (prison) de Königstein à Dresde pour être jugés.»

Léon, Vladimir, vous êtes magnifiques!!!

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<![CDATA[22. Léon et Vladimir : notre histoire]]>

Les cousins ont réagi presque tout de suite à la lecture de ce récit. Ils ont été heureux de voir revivre ce grand-père qui nous a tous marqués, et de connaître plus précisément ses aventures de guerre. Ils apportent leurs propres souvenirs... qui complètent et parfois corrigent les miens. Et

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https://evasion-a-konigstein.site/22-leon-et-vladimir-notre-histoire/5eba779e17a1f4128daf273cTue, 12 May 2020 10:17:51 GMT

Les cousins ont réagi presque tout de suite à la lecture de ce récit. Ils ont été heureux de voir revivre ce grand-père qui nous a tous marqués, et de connaître plus précisément ses aventures de guerre. Ils apportent leurs propres souvenirs... qui complètent et parfois corrigent les miens. Et certains donnent sinon la réponse, au moins un éclairage sur certaines questions.

Nous commencerons par l’information capitale qu'apporte Marie-France:

« C’est à Vaux-les-Palameix, village (presque?) entièrement détruit pendant la guerre et reconstruit provisoirement en planches (l’école, notamment), que le grand-père est d’abord nommé. En témoigne le lieu de naissance, le 2 mai 1920, de Robert. Sur Wikipedia, Vaulx-les-Palameix apparait comme une commune d’actuellement 57 habitants (1911: 237 – 1921: 71); il est bien mentionné que l’église a été reconstruite en 1926. »

Ainsi, à la date où vraisemblablement le grand-père reçoit la lettre du Gabbine, il habite non dans le beau bâtiment de l’école de Dannevoux, comme je le voyais en imagination, mais dans une baraque en planches (l’instituteur logeait à l’école) avec sa femme et un nourrisson. On voit là qu’il n’est guère mieux loti à ce point de vue que son camarade, et cela explique bien sa réponse à la lettre de Moscou. C’est avec le recul que nous voyons que sa vie est très différente - il exerce son métier, mange à sa faim, a un enfant et peut envisager l’avenir avec optimisme, ce qui n'est pas le cas de Vladimir. Et chacun d’entre eux ne peut guère imaginer la situation de l’autre dans tous ses aspects. Nous mêmes, c’est après tout ce temps que nous avons pu  essayer de comprendre certaines motivations qui ont dû les animer dans leurs actions de cette époque.

Vaux-les-Palameix (wikipedia et https://vauxlespalameix.pagesperso-orange.fr/histoire.htm)

Situé dans le fameux saillant de Saint-Mihiel en 1914-1918, le village de Vaux-les-Palameix fut entièrement détruit pendant la guerre. Il fut reconstruit un peu plus bas que son ancien emplacement, et l’église, reconstruite toute neuve en 1926, s’élève à la place de l’ancienne qui datait de 1829.


Vaux-Les-Palameix est un des villages tués pour ainsi dire par la guerre. Il comptait 237 habitants en 1913 et 86 en 1923.

Avant 1914, Vaux Les Palameix était surtout connu par ses oseraies et sa vannerie célèbre dans toute l’Europe. Marie-France ajoute un souvenir concernant ce village qui nous fait retrouver les jours heureux de notre enfance à Dannevoux :

« On trouve aussi, sur le blason élaboré récemment (2014) un panier d’osier. La légende familiale voulait que ce soit en souvenir des vanniers de ce village que Mamie continuait d’acheter ses paniers aux nomades (gitans ?) qui passaient une fois par an à Dannevoux. »

J’ai aussi en mémoire ces passages de ceux que mamye appelait les « camps-volants » (j'entendais, moi, « canvolants » en un mot). J’ai retrouvé cette appellation dans un livre sur les gitans.

Marie-France :

- «les „grands-parents de Sivry“ (les parents du grand-père) étaient pauvres et accueillants. Je croyais qu’ils étaient seulement agriculteurs. Ils ne comprenaient guère l’intérêt de la culture intellectuelle et le grand-père devait se cacher en haut d’un arbre pour lire plutôt que d’aider à faire le jardin. Mamie Clotilde se souvenait avec émotion de l’accueil de sa belle-mère, qui disait „Avec la Clotilde, c’est facile; il suffit de lui faire des pommes de terre et de la salade“.

- les „grands-parents de Consenvoye“ (les parents de la grand-mère) étaient plus réservés et intellectuels; le grand-père était directeur d’école. »

Moi aussi, j’ai toujours entendu parler du grand-père Eugène et de sa femme comme des agriculteurs, alors que mamye dit dans l’enregistrement qu’il était coiffeur, et de braves gens.

Annie confirme que le grand-père Eugène était coiffeur, et qu’il coupait les cheveux aux enfants dans son « salon » à Sivry, en fait une pièce de la maison aménagée en salon de coiffure.

-« J’avais compris que le grand-père avait appris du russe avec son camarade de détention et que la dernière langue qu’il a commencé à apprendre était l’anglais, dont il étudiait la méthode Assimil le jour de sa mort. »

Mon souvenir m’aurait-il trompée? Pourquoi alors ne m’aurait-il pas appris l’alphabet russe pendant ces vacances d’été avant mon entrée en 4ème où je devais commencer le russe, et a-t-on engagé Elisabeth Valsecchi pour me l’apprendre ? Peut-être révisait-il le russe et apprenait-il l’anglais sur ses vieux jours ?

Alain :

«Merci pour l ' envoi merveilleux, reçu ce matin, dont j'ai "avalé" le contenu avec sans doute un peu trop de précipitation, cédant à une curiosité bien naturelle. Bien entendu, je reviendrai et reviendrai encore sur ces documents dont j'ai apprécié la qualité stylistique et le travail de recherche. Je vous en remercie de tout coeur. Ce retour vers le passé glorieux de notre grand-père et l' intérêt que vous lui portez m'ont permis, si besoin était, de mesurer à quel point la famille Dormois m 'est précieuse /... / Nous devons chacun beaucoup à notre Léon, personnalité forte et éclectique dont la curiosité intellectuelle a su nous marquer. A titre personnel et sans le quart de son talent, n' ai-je pas été professeur de langue, sportif médiocre mais assidu et musicien raté mais passionné ?

PS ( pour faire plaisir à Michel qui adore ces deux lettres) : rectification de la plus haute importance : la chute spectaculaire qui me laissa ensanglanté puis recousu de quelques points que je garde en souvenir sur mon crâne déplumé, ne s’est pas produite sur la côte de Gercourt mais près de la Meuse devant la gare. Evidemment, ça change tout ! C'était ma précieuse contribution à ce dossier... »

(A SUIVRE)

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<![CDATA[21. Léon et Vladimir: mon histoire]]>A la fin de mon histoire de Léon et Vladimir, je découvre avec étonnement que ce dernier a pris presque « plus de place » que notre grand-père. C’est le temps de guerre qui les a réunis à Königstein et, comme je le comprend maintenant, ce même temps les a aussi

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https://evasion-a-konigstein.site/21-passe/5e9db4e617a1f4128daf25feThu, 09 Apr 2020 15:56:14 GMTA la fin de mon histoire de Léon et Vladimir, je découvre avec étonnement que ce dernier a pris presque « plus de place » que notre grand-père. C’est le temps de guerre qui les a réunis à Königstein et, comme je le comprend maintenant, ce même temps les a aussi séparés. Pas au moment de la séparation physique après la prison de Dresde. C’est plutôt au début des années 1920, au moment où Vladimir a reçu la réponse négative de Léon, son courageux et intrépide camarade d’évasion.

En effet, j’ai l’impression que pour notre grand-père ce temps s’est arrêté le 25 novembre 1918 dans le train qui le ramenait avec d’autres ex-prisonniers de Suisse en France. Il retournait dans son village pour retrouver sa maison, sa fiancée Clotilde, son travail d’instituteur. La vie normale, quand on n’a plus à participer à un combat imposé et sans fin contre des forces extérieures.

Pour Vladimir il est difficile de dire quand la « vie normale » a repris. C’est à la recherche de cette frontière entre le temps de guerre et le temps d’après pour Vladimir que, une fois retrouvées ses traces en Russie, nous sommes allés jusqu’à la fin, jusqu’à cette datcha près de Moscou où - apparemment – il a trouvé après 1953 l’apaisement de la vie ordinaire.

Plus nous avancions dans l’histoire de mon grand-père, plus j'éprouvais un double sentiment.

D’un côté l’impression émouvante et réjouissante de connaître enfin, de voir de mes yeux ce Königstein ou Léon s'était lancé dans cette extraordinaire évasion, de retrouver les détails de celle-ci, de découvrir le visage de ce Vladimir Gabbine, son comparse dans cet exploit et l'auteur d'une lettre disparue à jamais, mais qui n'était pour moi qu'un nom. D'interroger à travers les documents d’archives les témoins de cette époque. Et puis de retrouver – un vrai miracle – Georgui Gabbine à Moscou.

De l’autre côté, le regret de l’impossibilité de trouver aujourd’hui des réponses sur les raisons de certains choix vitaux qu’on fait les uns et les autres dans cette histoire.

Pourquoi Vladimir n’a-t-il pas essayé malgré tout, malgré la lettre du grand-père, de quitter la Russie, de quitter ce Moscou qui était pour lui une ville étrangère, alors qu’il était encore possible d’émigrer à cette époque, jusqu’à la fin de la NEP. Beaucoup l'ont fait sans avoir de contact à l'étranger. Attachement à sa famille ? Ou besoin que quelqu’un le pousse, comme l’avait fait Léon en 1914 ? Peut-être la phrase de Gueorgui sur sa vision de Léon comme élément moteur dans l'évasion est-elle une part d'explication.

Vladimir est mort en 1977.

En 1973-1974, j’étais stagiaire à l'Université de Moscou. J’aurais pu le rencontrer, et lui poser cette question. Mais pas un instant il ne m’est venu à l’esprit qu’il pouvait être encore vivant, lui ou ses descendants éventuels, qu’il pouvait habiter à Moscou. Il était facile de retrouver quelqu’un là-bas, car tous les habitants devaient être « enregistrés » - c’était la fameuse « propiska » que devait avoir chaque Soviétique -, et un bureau de renseignements donnait l’adresse de tout habitant à qui la demandait. Des amis avaient ainsi trouvé facilement des gens qu’ils cherchaient.

Si j’avais cherché et obtenu son adresse, aurais-je pu le voir ? Aurait-il été peu désireux de remuer ce passé dont il avait visiblement voulu enterrer des pans entiers ? Ou aurait-il accepté de rencontrer la petite-fille de son vieux camarade, peut-être en hésitant, et puis finalement avec le plaisir de partager son histoire que j’ai pu voir chez mes deux grands-mères lorsque je leur ai fait raconter leur vie et les ai enregistrées ?

J’aurais pu alors savoir tant de choses. Je l'aurais questionné sur son amitié avec Léon; de quoi parlaient-ils pendant ces semaines où ils mettaient au point leur fuite? Ils avaient 24 ans. De quoi parlent les garçons de 24 ans ? De leur famille ? De leurs études, de leur vie d’avant et de l’avenir qu’ils envisageaient… De politique ? L’instituteur socialiste et l’officier de l’armée du tsar… Peut-être partageaient-ils plus de choses qu’on ne peut l’imaginer même de ce point de vue. Ou peut-être pas.

Nous ne le savons pas, mais en tout cas, je peux me dire aujourd’hui que grâce à cette histoire reconstituée en 2020, nous avons réuni Léon et Vladimir qui s'étaient perdus depuis la lettre des années 1920. Ils ont bien mérité cet hommage!

Il a été parfois difficile d'imaginer ces moments extraordinaires de guerre, de tranchées, d'obus, d'évasions, de Tchéka, non pas comme sortis d'un livre d'histoire ou un roman, mais vécus par notre paisible grand-père fumeur de meccarillos, et son camarade russe. Mais essayer de se les représenter, passer du temps avec eux, réfléchir sur leurs actions a toujours été un plaisir, un plaisir qui est devenu une occupation salutaire puisque nous avons continué et terminons ce voyage pendant le confinement historique du printemps 2020.

Les références à la guerre à ce sujet dans le discours des hommes politiques sont devenues fréquentes et troublantes. Les historiens nous apportent leur éclairage sur les particularités et les similitudes de pareils moments. Comme l'historien de la guerre 14, J.J. Audoin-Rouzeau qui dans un entretien du 12 avril 2020 au journal Mediapart fait un rapprochement intéressant entre le temps de la guerre 14 et celui du COVID 19.

"Le propre du temps de guerre est aussi que ce temps devient infini. On ne sait pas quand cela va se terminer. On espère simplement – c’est vrai aujourd’hui comme pendant la Grande Guerre ou l’Occupation – que ce sera fini « bientôt ». Pour Noël 1914, après l’offensive de printemps de 1917, etc. C’est par une addition de courts termes qu’on entre en fait dans le long terme de la guerre. Si on nous avait dit, au début du confinement, que ce serait pour deux mois ou davantage, cela n’aurait pas été accepté de la même façon. Mais on nous a dit, comme pour la guerre, que c’était seulement un mauvais moment à passer. /…/ Après la contraction initiale du temps, on est entré dans ce temps indéfini qui nous a fait passer dans une temporalité « autre », sans savoir quand elle trouvera son terme."

Dès le début du confinement, je repense à celui du grand-père dans la forteresse de Königstein, puis la prison de Dresde, et puis dans d’autres camps encore. Et ainsi pendant presque 5 ans. Mais surtout à son rapport au temps d’enfermement. Jusqu’au bout il a essayé d'échapper à cette situation où le temps s’est arrêté dans l’attente d'on ne sait pas quelle fin. Alors, si sa motivation première était le désir de retourner sur le front, n’est-ce pas aussi pour tenter de donner un terme à ce temps indéfini qu’il s’est lancé encore et encore malgré tous les risques encourus dans la préparation et les tentatives d’évasion?

Dans ce "temps indéfini" que nous vivons en ce moment, nous aussi, nous essayons de nous « évader » en nous donnant quelques repères et espoirs pour le futur : nous devons nous rendre cet été à Königstein pour rencontrer le conservateur qui s'occupe au musée de la période 14-18. Notre ami Bernhartd a téléphoné d'Allemagne aux personnes chargées du département historique et fait part de l'histoire de l'évasion du grand-père et ils sont intéressés par la lettre et l'enregistrement qui en témoignent. Ils ont dit aussi qu'ils possédaient beaucoup de photos de cette époque qu'ils pourraient nous montrer.

Retrouverons-nous le grand-père sur l'une d'elle? Je suis sûre que je le reconnaîtrais tout de suite.

Ainsi l'histoire n'est pas encore finie...

                                                                                                                13 avril 2020, Paris

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<![CDATA[20. "Je comprends mieux mon père"]]>

Volodia rentre à Paris et nous discutons de toutes ces nouvelles données. Je voudrais bien, moi aussi, voir le fils de ce Gabbine que le grand-père n’a jamais oublié. Lui aussi veut me voir. Volodia et Gueorgui ont convenu d’un rendez-vous par skype. Après quelques premières phrases de

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https://evasion-a-konigstein.site/18-comprendre-le-passe/5e9db4e617a1f4128daf25fbTue, 24 Mar 2020 10:55:00 GMT

Volodia rentre à Paris et nous discutons de toutes ces nouvelles données. Je voudrais bien, moi aussi, voir le fils de ce Gabbine que le grand-père n’a jamais oublié. Lui aussi veut me voir. Volodia et Gueorgui ont convenu d’un rendez-vous par skype. Après quelques premières phrases de salutations émues, je lui dis à quel point cette rencontre est pour moi extraordinaire, car je sentais quand mon grand-père parlait de cette époque que le souvenir de V. Gabbine était resté vivant dans sa mémoire, et en même temps c’était pour moi une page fermée à jamais, à laquelle on ne pourrait jamais rien ajouter.

Nous reparlons de l’évasion. « Je pense que c’est votre grand-père qui était l’élément moteur dans cette évasion », me dit-il.

Je sais qu’effectivement c’est le grand-père qui a proposé de s’enfuir à Vladimir, et que c’est lui qui est descendu le premier. Mais Gueorgui a-t-il d’autre raisons de penser cela ?

Je lui redis notre étonnement en pensant au refus opposé à la lettre de Vladimir. Gueorgui réaffirme énergiquement que son père n’en a sans doute jamais voulu à son camarade de camp.

Puis je m’éloigne, encore sous le coup de l’émotion.

Volodia continue la conversation.

Gueorgui va lui ouvrir une page nouvelle et inattendue de la vie de Vladimir.

« Vous savez, si vous n’étiez pas venu, tout cela serait resté enfoui à jamais sans doute. Mais après votre départ j’ai beaucoup réfléchi aux tâches blanches dans la vie de mon père. J’ai essayé de me mettre à sa place pour le comprendre. Quand nous nous sommes rencontrés, je ne vous ai pas tout dit sur la vie de mon père dans les années 1920 car je pensais que ce n’était pas très intéressant pour vous. Or, il y a eu un épisode qui n’était pas très positif. Et maintenant je pense que si on raconte, il faut dire tout de façon honnête.

Vous vous souvenez, je vous ai donné une photo de notre famille dans les années 1920. Regardez-là. Il y a les trois filles du général et deux frères. Mais il y sur la photo aussi une femme laide. Vous la voyez ? »

Volodia scrute les visages, embarrassé. Laquelle ?

« Mais si, mais si, la femme laide, debout au deuxième rang… Et puis il y a une petite fille sur les genoux de Piotr. Eh bien, cette femme laide c’est la première femme de mon père. Et leur fille Viktoria. Vladimir vivait dans des conditions épouvantables dans ce début des années 20. Comme je vous l’avais dit, il n’avait même pas une place pour dormir. Et donc je comprends maintenant qu’à ce moment il écrit à Léon, puis reçoit sa lettre, son espoir de partir disparaît, et il décide de se marier avec cette femme, qui avait un logement à elle. C’était pour lui comme un « mariage fictif », un mariage par désespoir ; ils ont eu une fille, mais le mariage a été très malheureux. La seule chose qui intéressait cette femme, c’était l’argent; toute sa vie, elle lui reprochait de ne pas lui donner assez d’argent. Sa fille, ma sœur, ne m’a jamais apporté un bonbon, elle ne venait le voir que pour qu’il lui donne de l’argent. Imaginez qu’à la mort de mon père, elle est venue à l’enterrement pour me parler d’héritage. Or, mon père, sur son livret d’épargne, il avait 5 roubles. Quand j’ai dit à ma sœur que ce n’était pas le lieu et le moment de parler d’argent, elle est partie fâchée et je ne l’ai plus revue. »

Volodia est surpris par la révélation de cet épisode qui renforce le sentiment de tristesse de voir un homme pris dans des circonstances qui l'ont forcé à agir à contrecœur, juste pour sortir d'une situation que sans doute il ne supportait plus.

Gueorgui continue, comme pour justifier son père.

« Vous comprenez, mon père c’était un « bartchuk »*. Il a grandi dans une grande propriété à Tachkent, une belle maison, un jardin, du personnel.

Il avait des ambitions. Quand dans son enfance on l’a envoyé à l’école civile et non militaire, il ne voulait pas y aller ; il disait que c’était une école de filles, il jetait des grenouilles par les fenêtres pour se faire renvoyer ; il a fini par être ramené par un policier. Puis la guerre l’ a empêché de faire ses études à l’Académie militaire comme ses frères. Pendant la guerre il n’a pas pu combattre, la captivité n’était pas non plus un fait très glorieux, et il revient dans cette Russie bolchevique en ruines. Bref, mon père pensait qu’il avait un destin raté »

De cette conversation, il ressort que peut-être ce que nous lui avons appris sur la lettre a donné à Gueorgui une sorte de clef pour mieux comprendre l’histoire du premier mariage de son père qui restait visiblement un mystère et une chose mal vécue pour lui, quelque chose de malhonnête et contraire à la nature de son père.

Georgui n'a sans doute pas fini de revenir à l'histoire de son père, mais probablement avec plus de compréhension, et aussi de regrets ne pas avoir appris plus de choses de son vivant.

Et nous? Cette confidence de Gueorgui éclaircit d'une certaine manière le silence que son père a gardé sur Léon, mais nous inspire de nouvelles questions.

  • bartchuk = petit barine.
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<![CDATA[19. Vivre dans la Russie nouvelle]]>

Gueorgui ne raconte pas grand-chose sur la vie matérielle de la famille à Moscou à cette époque, sinon qu’ils logent tous dans un baraquement, où Vladimir n’a même pas un lit à lui. Il a repris ses études et obtient un diplôme de l’Institut énergétique de Moscou.

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https://evasion-a-konigstein.site/vivre-dans-la-russie-nouvelle/5e9db4e617a1f4128daf25fcSat, 21 Mar 2020 10:59:00 GMT

Gueorgui ne raconte pas grand-chose sur la vie matérielle de la famille à Moscou à cette époque, sinon qu’ils logent tous dans un baraquement, où Vladimir n’a même pas un lit à lui. Il a repris ses études et obtient un diplôme de l’Institut énergétique de Moscou. Il devient ingénieur électricien au Bolchoï. En 1929, il se marie avec une cousine germaine, originaire elle aussi de Tachkent. Il a 37 ans.

En 1933, naît leur fils Gueorgui. Il a enfin son logement, deux pièces dans un appartement communautaire, dont une pièce sans fenêtre.

Je demande à Gueorgui : « Alors la vie s’arrange ? »

« Oui, à peu près, répond Gueorgui. Mais vous savez que le Bolchoï avait un régime spécial. C’était non seulement un théâtre, mais il s’y tenait aussi les congrès du Parti. Et lors des représentations, opéras, spectacles, Staline était dans la loge. Donc, il y avait une très stricte surveillance par les organes. Et mon père devait cacher qu’il avait un frère à l’étranger, cacher ses origines (ancien militaire de l’armée tsariste, mais d’origine paysanne, écrivait-il dans les «enquêtes » sur l’origine sociale). Un jour, un incendie se produit au théâtre. Mon père se prépare déjà à être arrêté et accusé de sabotage ou d’action terroriste. On pouvait être arrêté pour moins que ça ! Nous habitions dans un grand immeuble, et pendant toutes ces années des gens disparaissaient la nuit. Notre famille n’a pas été touchée, par chance. Sans doute étions- nous protégés par une bonne étoile» .

Je comprends après ce récit pourquoi Vladimir n’aimait pas parler du passé, de lui-même, de sa famille.

Je lui demande : « Vous vous souvenez sans doute vous-même de la période de la guerre, puisque vous aviez déjà 9 ans. »

« Oui, en juin 1941, mon père reçoit un ordre de mission du gouvernement : il doit se rendre à Tachkent pour participer à la construction de l’Opéra de la république d'Ouzbékistan. Nous avons fermé nos deux pièces dans l’appartement communautaire et nous sommes partis. C’est dans le train qui nous emmenait en Asie centrale que nous avons appris que l’Allemagne avait attaqué l’Union soviétique, le 22 juin. Que faire ? Il s’agit d’une mission de l’Etat et mon père décide donc de continuer la route. Mais au bout de quelques mois, le chantier de l’Opéra est arrêté, et mon père est envoyé pour travailler au Tadjikistan. A la fin de la guerre, nous sommes rentrés à Moscou ».

« Vous avez retrouvé vos deux pièces ?

« Oui, mais pendant la guerre d’autres gens y habitaient, et tout avait été emporté, sauf le piano.»

« Vladimir reprend son travail au Bolchoï ? »

« Non, il travaille, mais comme traducteur de textes techniques en allemand. Mais surtout il veut quitter Moscou et retourner vivre en Asie centrale. Comme si son séjour pendant la guerre avait réveillé en lui une nostalgie de l'Asie de son enfance. Mais on ne pouvait pas à cette époque déménager d'une ville à l'autre comme ça. Il devait pour cela trouver une mission officielle.

En 1948, il en trouve une à Alma-Ata, la capitale du Kazakhstan. Je ne sais pas combien de fois j’ai changé d’école pendant mon enfance. Mais ma mère en avait assez de cette vie nomade, et des difficultés matérielles qu' ils rencontraient, logement, etc... Elle a persuadé mon père de revenir à Moscou. Là, mon père est allé travailler comme ingénieur dans une usine qui fabriquait des fours électriques industriels. C’est dans cette entreprise qu’il a obtenu en 1953, comme de nombreux travailleurs, une parcelle de terrain à la campagne à 43 km de Moscou pour y construire une datcha.* Il l’a construite lui-même, a aménagé un jardin et un verger. En 1955 il a pris sa retraite et cette datcha est devenu son refuge, son monde. Il y a passé pratiquement tout le reste de sa vie. Jusqu'à la fin il évitait de parler de sa vie passée et celle de sa famille.

A un moment il a reçu une lettre de son frère, Nikolaï, d’Australie. Nikolaï dit qu’il voudrait rentrer en Russie, et demande s’ils pourraient l’accueillir. La famille se réunit, et tous, surtout les soeurs de mon père, décident non seulement de ne pas répondre mais de continuer à taire soigneusement l’existence de ce frère émigré.

Vous voyez que mon père ne pouvait pas en vouloir à Léon de ne pas avoir accepté de l’accueillir, alors qu’eux-mêmes n’ont même pas répondu à la lettre de leur frère. »

« Vous n’avez plus eu de nouvelles de Nikolaï ? »

« Si, plus tard, nous avons reçu une lettre d’Australie. Quelqu'un nous informait qu'il était décédé et joignait une photo de sa tombe. Une des sœurs s’est alors demandé s’il n’y avait pas un héritage à recevoir. La réaction des autres a été immédiate : tais-toi, surtout pas ! Nous n’avons pas de frère en Australie… »

Je quitte les Gabbine avec des sentiments mélangés. Toujours ému d’avoir pu parler au fils de Vladimir Gabbine, rétablir le lien entre un passé qui semblait si lointain, disparu à jamais, et le présent. De savoir que non seulement pour Léon, mais pour Vladimir aussi la vie a continué. Simplement j’ai aussi de la tristesse en comprenant à quel point sa vie était enfermée dans cette peur soviétique, cette banale peur soviétique qui était une prison dont il n’y avait, pour le coup, pas d’évasion possible.

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<![CDATA[18. Tachkent: la fin du monde ancien]]>

D'après Georguï, c'est pour sauver sa vie que le général Gabbine a dû quitter Tachkent.

"En 1918, en pleine guerre civile, à Tachkent, mon grand-père le général Nikolaï Gabbine  est prévenu d’une arrestation imminente par la Tchéka. (N.B. Cette police politique a été créée au début de l’

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https://evasion-a-konigstein.site/18-tachkent/5e9db4e617a1f4128daf25fdSat, 21 Mar 2020 10:56:00 GMT

D'après Georguï, c'est pour sauver sa vie que le général Gabbine a dû quitter Tachkent.

"En 1918, en pleine guerre civile, à Tachkent, mon grand-père le général Nikolaï Gabbine  est prévenu d’une arrestation imminente par la Tchéka. (N.B. Cette police politique a été créée au début de l’année 1918 par les Bolcheviks pour  «répondre à la terreur blanche par la terreur rouge », comme ils disent). Ce sont les Ouzbeks (ses domestiques ? des voisins ?) qui vont sauver le général en le cachant dans un puits asséché où il reste quelques jours. Il en sort, se déguise en dissimulant son visage avec un bandage comme s’il avait un abcès dentaire, et part pour Moscou. Là, il se rend au siège de la Tchéka et rencontre son chef,  Dzerjinsky. Il se présente à lui, et lui dit qu’il est prêt à travailler pour le nouveau pouvoir. « Si  vous n’avez pas besoin de mes services, vous pouvez m’arrêter et me fusiller ». Dzerjinsky accepte son offre et il est incorporé dans la RKKA, l'Armée rouge des ouvriers et des paysans."

La fin de cette histoire n'a pas été aussi heureuse pour beaucoup d'habitants de Tachkent, anciens "privilégiés" d'avant 1917 (ou même de nombreux révolutionnaires de 1917 devenus plus tard "contre-révolutionnaires" pour le pouvoir stalinien).

Dès 1917, des milliers de ces "anciens", comme on les nomme, vont être arrêtés, jugés, et incarcérés dans "le château-prison" de la ville.

C'est un assez grand complexe pénitencier construit au 19ème siècle, avec une église, la cathédrale de l'Intercession, qu'on voit sur la carte postale ci-dessus. Celle-ci a été reconstruite d'après les plans de l'ingénieur militaire Nikolaï Gabbine, qui a supervisé les travaux! Elle a été inaugurée en 1906.

Après la révolution, on libère les prisonniers, mais les nouveaux ne vont pas tarder à arriver. Et l'église devient le siège du tribunal révolutionnaire (C'est pratique: de l'église on sort directement dans la cour de la prison).

En 1918, c'est donc là qu'aurait été jugé son bâtisseur, s'il n'avait pu s' échapper. Et que des milliers d'autres vont finir emprisonnés, ou exécutés.

Comme Fiodor Kerensky qui est un ancien procureur de Tachkent. Un jour de décembre 1918, il ne rentre pas chez lui. Sa femme se met à sa recherche et s'adresse à la Tchéka. C'est là qu'on lui annonce que son mari a été arrêté et fusillé, sans procès et jugement. La raison? Son nom de famille: il est le frère d'Alexandre Kerensky*.

Comme le directeur de l'école technique de Tachkent, le colonel Dounin-Borkovski, qui, lui, a droit à un procès:

La Commission extraordinaire (Tcheka), considérant la situation terrible vécue actuellement par le prolétariat et suivant  le slogan de la dictature du prolétariat a jugé que, d'après les preuves matérielles, la présence de Borkovski au sein de l'Etat soviétique est nuisible, et décide par conséquent d'isoler Dounin-Borkovski en l'envoyant dans un camp de concentration pour la bourgeoisie pour une durée de 6 mois.

                                                                                                              15 octobre 1919

Président de la Commission: Popov, Secrétaire: Bessmertny, lu et approuvé: juriste Grinbaum.

On peut préciser quelles sont ces "preuves matérielles": il est intervenu contre la fermeture et la confiscation des biens d'une église, celle du corps des cadets, dont il était chef du comité des paroissiens.  

Dans cette église, construite par Nikolaï Gabbine, on a ouvert, au milieu des années 1930, en démolissant bien entendu au préalable la coupole et le clocher, un cinéma, bien connu des anciens de Tachkent jusque dans  les années 1960. Aujourd'hui il n'en reste plus rien.

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<![CDATA[17. La famille Gabbine (presque) réunie]]>Gueorgui reprend l’histoire de la famille.

"Tout de suite après la fin de la guerre les prisonniers se voient offrir le choix de rester en Allemagne en tant que réfugiés, et on les laisse sortir librement de la forteresse.

Vladimir Gabbine doit donc choisir : rester en Allemagne, dont il

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https://evasion-a-konigstein.site/17-la-famille-gabbine-vivre-dals-la-russie-nouvelle/5e9db4e617a1f4128daf25faSat, 21 Mar 2020 10:54:14 GMTGueorgui reprend l’histoire de la famille.

"Tout de suite après la fin de la guerre les prisonniers se voient offrir le choix de rester en Allemagne en tant que réfugiés, et on les laisse sortir librement de la forteresse.

Vladimir Gabbine doit donc choisir : rester en Allemagne, dont il connait la langue, mais avec le statut de réfugié, ses incertitudes, la solitude. Ou bien rentrer en Russie, retrouver la patrie, sa famille. Il ne pense pas à ce moment au nouveau régime, à la ruine que connait la Russie. Il choisit la Russie.

C'est en 1919 seulement qu'après une série de démarches, il arrive à Moscou, où vit déjà son père."

Le général Gabbine, en effet, a dû quitter précipitamment Tachkent en 1918 et il a fait venir sa famille à Moscou. Gueorgui me montre une photo datant du milieu des années 1920.

On voit le général, sa femme, ses trois filles et deux fils : Vladimir et Piotr, le frère aîné. Il avait le grade de capitaine et a combattu avec les Blancs au sud de la Russie, a été fait prisonnier et a accepté de servir dans l’Armée rouge. Jusqu’au début des années 1930, il est ingénieur militaire, auteur entre autres d’un type de pont provisoire dit « pont Gabbine »

Le second fils, Nikolaï, n’est pas sur la photo : il a émigré en Australie, après avoir lui aussi combattu avec les Blancs.

En regardant aujourd'hui la photo de cette grande famille réunie autour du vieux général, on a du mal à imaginer ce qu'il a dû traverser pour sauver sa vie et sa famille dans l'incendie de la Révolution.

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<![CDATA[16. La Grande guerre du côté de Vladimir]]>(Suite du récit de Volodia)

Mais à peine a-t-il commencé sa carrière, comme pour Léon, que la guerre commence et qu'il est capturé. Gueorgui me montre une photo d’un groupe de prisonniers russes, parmi lesquels figure son père, puis répond à ma question.

"Où et comment votre père a-t-il

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https://evasion-a-konigstein.site/16/5e9db4e617a1f4128daf25f9Sat, 21 Mar 2020 10:53:16 GMT(Suite du récit de Volodia)

Mais à peine a-t-il commencé sa carrière, comme pour Léon, que la guerre commence et qu'il est capturé. Gueorgui me montre une photo d’un groupe de prisonniers russes, parmi lesquels figure son père, puis répond à ma question.

"Où et comment votre père a-t-il été fait prisonnier?"

« Au cours de la bataille de Tannenberg du 20 au 30 août 1914, cinq divisions du 13ème corps d’armée du général Kliouïev et du 15ème corps du général Martos sont encerclées par les Allemands près de la forêt de Grünfliss.

Le général Martos est fait prisonnier, le général Kliouïev essaie de faire sortir les troupes en trois colonnes, mais deux sont défaites et il donne l’ordre de reddition. La général Samsonov, commandant de la 2ème Armée, se suicide. Environ 30 000 soldats et officiers russes sont faits prisonniers. Parmi eux, Vladimir Gabbine.

Le moment le plus dangereux est celui où les soldats s’avancent pour se rendre. Ils sont alors tenus en joue et frappés par les Allemands, qui les répartissent en groupes puis les les conduisent jusqu’au train pour les transporter dans les camps d’internement.

Vladimir Gabbine est interrogé à plusieurs reprises et conduit à la forteresse de Königstein. Sa connaissance de l’allemand, appris à l’Ecole des cadets lui ont été bien utiles dans ces circonstances. »

Ainsi, Vladimir Gabbine et Léon sont faits prisonniers pendant ces mêmes jours d’août 1914. Mais ce n’est pas seulement une coïncidence de leurs destins personnels. Il y a un lien direct entre ces faits : c’est pour soulager la terrible pression des armées allemandes sur l’armée française aux premier jours de la guerre que la Russie lance cette attaque mal préparée – folle – de la 2ème armée du général Samsonov en Prusse orientale. C’est pour, entre autres, sauver le 25ème bataillon de chasseurs à pieds de Léon Dormois en Lorraine que le lieutenant Gabbine et son 13ème corps d’armée s’enfoncent dans l’inconnu des forêts et des marécages de Mazurie.

Il existe, certes, beaucoup d’analyses historiques de la bataille de Tannenberg . Mais c’est sans doute le roman de Soljenitsyne «La Roue rouge», dans la première partie «Août 14», qui, en décrivant jour par jour la destruction de la 2ème armée et les raison de cette catastrophe, a fait apparaître ces événements comme un fait majeur non seulement de l’histoire de la Grande guerre mais de l’histoire de l’effondrement de l’Empire russe et du régime tsariste.

Puis Gueorgui me montre une autre photo, qui pourrait nous intéresser particulièrement : un homme est au milieu d’une foule, de militaires. Et, d’après Gueorgui, ils’agit de son père (un homme en noir au deuxième rang sur la photo) reconduit à Königstein après son arrestation.

(Quand j’examine cette photo, Galina Sergueïevna dit : vous voyez, il y a des enfants, comme le mentionne Léon dans son récit.)

Or, notre grand-père Léon visiblement n’est pas sur la photo. Sont-ils revenus séparément ? J’en doute.

Mais j’aborde alors la question la plus sensible : Vladimir a raconté l’évasion, il a montré des photos. Pourquoi a-t-il omis la participation de Léon ?

Gueorgui marque un instant de silence et je lui fais part de nos suppositions quant à ce silence : la déception ou la rancœur de Vladimir après la réponse de Léon à sa lettre.

Gueorgui proteste énergiquement et sans hésitation : non, cela n’est pas possible. Vous savez, me dit-il, c’était une époque tellement… Mon père n’aimait pas du tout parler de tout ce passé. Il fallait lui arracher le moindre mot sur ces sujets. Galina Sergueïevna ajoute : non, vous savez, ce n’était pas un homme à avoir du ressentiment, il était très gentil. Mais en fait, quand on lui posait des questions sur le passé, il devenait très nerveux, très tendu.

Donc, de leur côté, ils rejettent notre explication, sans savoir dire, ou sans pouvoir dire les raisons réelles du silence de Vladimir sur son compagnon d’évasion.

L’interrogation reste. Mais passons à la suite du récit de la vie de Vladimir après son retour, dont nous savons déjà par la lettre disparue à quel point elle est misérable dans ces années 1920.

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<![CDATA[15. Avant 1914. Une famille russe au Turkestan]]>

L’histoire de la famille Gabbine commence en Asie Centrale. Le grand-père de Vladimir, Ivan,  est arrivé dans cette région en tant que « missionnaire » dans la deuxième moitié du 19èmesiècle. Après la prise de Tachkent, de Samarcande et l'établissement du protectorat sur les émirats de Boukhara et Kokand

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https://evasion-a-konigstein.site/13-avant-1914-une-famille-russe-a-turkestan/5e9db4e617a1f4128daf25f7Thu, 19 Mar 2020 18:26:07 GMT

L’histoire de la famille Gabbine commence en Asie Centrale. Le grand-père de Vladimir, Ivan,  est arrivé dans cette région en tant que « missionnaire » dans la deuxième moitié du 19èmesiècle. Après la prise de Tachkent, de Samarcande et l'établissement du protectorat sur les émirats de Boukhara et Kokand par l'armée russe commence l'histoire de la colonisation. Les Gabbine sont en quelque sorte des "pieds-noirs" russes.

Nikolaï Karazin "Entrée des troupes russes à Samarcande le 8 juin 1868", 1888 (Musée russe de Saint-Pétersbourg)

L'auteur du tableau, officier de l'armée tsariste qui a participé à la conquête de l'Asie centrale a écrit un livre intitulé "du Nord vers le Sud", dans lequel il mentionne le missionnaire Ivan Gabbine.

C’est le début de la colonisation de l’Asie centrale par la Russie, qui lui donne  le nom de Gouvernement général du Turkestan (à l’époque soviétique, cette région sera divisée en 5  républiques, qui sont aujourd’hui 5 Etats indépendants). C’est ici, à Samarcande, que naît Nikolaï Ivanovitch Gabbine, le père de Vladimir. Mais  sa vie se déroulera surtout  à Tachkent. Il  deviendra général de l’armée du Tsar, mais travaille comme ingénieur: il supervise la construction d’infrastructures (création du réseau d’eau courante à Tachkent), usines, filatures de coton...  C’est là que verront le jour ses 6 enfants, dont Vladimir.

Les portes de la ville de Tachkent

La ville ouzbèque: une mosquée 
La première automobile à Tachkent
Le premier cinéma (appelé alors électro-théâtre), le "Moulin Rouge"
Le premier tramway. C'est Nikolaï Gabbine qui a participé à la construction du dépôt.

Voici la description  de Samarcande en 1901, par un voyageur russe, A. Markov:

"La Samarcande russe est un endroit d'un charme que l'on n'attendrait pas dans ce pays de barbares. Les rues larges, parfaitement pavées, forment de longues perspectives à droite et à gauche et se croisent avec une régularité géométrique. Les saules géants, comme nous n'en n'avons pas en Russie, les bordent en plusieurs rangs comme de vertes sentinelles, ne laissant pas passer les rayons du soleil qui se lève. A leurs pieds, avec un gazouillement joyeux coule l'eau dans  les "aryks" sans lesquels aucune végétation, aucune vie n'est possible au Turkestan.

Partout règnent l'ordre et la propreté. On voit tout de suite qu'ici tout est créé par la force militaire; c'est elle qui pave les routes, qui construit, qui plante, qui irrigue.

Je suis depuis longtemps arrivé à la conviction que le Russe est un homme  étonnant, s'il est dirigé par une discipline sévère. L'Anglais, c'est tout le contraire. Il étonne là où il peut manifester sa personnalité et sa liberté d'initiative. Les meilleurs exemples en sont nos moines et nos soldats:  une exploitation paysanne russe naturellement négligée se transforme en une ferme hollandaise propre et pimpante quelque part au monastère des Solovki dans le cadre strict du règlement monastique. Et ce que peut accomplir notre soldat sur l'ordre du chef, cela est bien connu de tous ceux qui ont visité nos provinces orientales, civilisées par l'armée russe."

https://rus-turk.livejournal.com/253272.html

C’est  à Tachkent que verront le jour et grandiront les 6 enfants du général: trois garçons, dont Vladimir, et trois filles.

Gueorgui Gabbine nous a transmis des extraits des souvenirs de sa tante, l’une de ces trois filles :

« Enfants, nous vivions à Tachkent, rue Shahrisabs, dans une grande maison  entourée d’un verger. Au service de notre famille il y avait une femme de chambre, une cuisinière, un cuisinier, un jardinier -ouzbek- et une ordonnance. Une gouvernante française, Mademoiselle Godard s’occupait des enfants. C’est une musicienne de renom, Sofia Vontsovskaïa, qui donnait des cours de piano   aux filles » (Notons que les trois sœurs deviendront après la révolution musiciennes professionnelles, comme beaucoup de jeunes filles de l’aristocratie).

Dans la mémoire de Vladimir, cette enfance à Tachkent  restera  comme le souvenir d'un paradis perdu.

Les sœurs de Vladimir font leurs études au lycée de filles:


Vladimir, comme ses deux frère aînés, suit une formation militaire et devient officier. Cette formation commence dans l'Ecole des cadets à Tachkent.

Il entre ensuite à  l’Institut militaire de Tachkent et commence sa carrière d’officier au Turkestan*.

Vladimir élève officier avec ses soeurs            Vladimir avec ses soeurs Nina et            Nina et Eléna                                                       Valentina

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<![CDATA[14. Noël chez les Gabbine]]>

Récit de Volodia :

Le 6 janvier, je quitte la Crimée pour Moscou où j’ai un rendez-vous chez Gueorgui Gabbine le soir même. Depuis le matin je me prépare : à l’aéroport de Simféropol, en attendant l’embarquement, je réfléchis et essaie de noter mes questions. Pendant le vol, et

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https://evasion-a-konigstein.site/13-noel-chez-gabbine/5e9db4e617a1f4128daf25f6Thu, 19 Mar 2020 18:19:40 GMT

Récit de Volodia :

Le 6 janvier, je quitte la Crimée pour Moscou où j’ai un rendez-vous chez Gueorgui Gabbine le soir même. Depuis le matin je me prépare : à l’aéroport de Simféropol, en attendant l’embarquement, je réfléchis et essaie de noter mes questions. Pendant le vol, et maintenant dans le taxi qui me conduit à travers Moscou, je m’efforce de me concentrer sur cette rencontre avec une histoire qui m'amène un siècle en arrière, en 1914, dans cette Moscou de 2020, sans y arriver vraiment. Comme c’est bizarre ! Je roule sur l’avenue Lénine inondée de lumière, avec ses enseignes de grands magasins (tiens, un Auchan), des restaurants (un "Napoléon" scintille au croisement de l'avenue Lénine et de la rue Maria Oulianova la soeur de Vladimir Illitch...) et les boutiques des marques globalisées. Et puis des quartiers nouveaux avec des complexes commerciaux encore plus grands, aux noms si peu "orthodoxes": Columbus, O’key ou Hudson. On dirait Las Vegas! Comment ont fait les gens ici pour passer si brutalement d’une époque à l’autre, de l'austère monde soviétique au monde de la consommation effrénée ? J'ai un sentiment troublant de déracinement: la Moscou d'aujourd'hui est une ville-mystère pour moi... Vladimir Gabbine, lui, a quitté en 14 la Russie tsariste, et est revenu en 19 dans la Russie des soviets.

Gueorgui Gabbine habite un quartier périphérique, très soviétique, au 8èmeétage d’un immeuble des années 1970. C’est un homme encore solide pour ses 86 ans qui me fait entrer dans l’appartement. Celui-ci est assez typique de la classe moyenne supérieure soviétique. Il me présente sa femme, Galina Sergueïevna, et un homme jeune, Sacha, qui est si j’ai bien compris le petit-fils de la sœur de son père. Nous nous installons dans le salon et je réexplique comment l’intérêt pour l’histoire vécue par le grand-père de Françoise en 1914 m’a amené à cette rencontre ici avec eux, à Moscou, le soir du Noël orthodoxe. Je réexplique aussi notre intérêt pour la figure de Vladimir Gabbine. Maintenant que je peux parler à son fils, je voudrais que Gueorgui me raconte ce qu'il sait de l’histoire de son père. Gueorgui s’est lui aussi préparé à cette rencontre. Il a pris connaissance des documents de Léon que j'ai traduits en russe. Et il me remet une biographie de son père, qu'il a préparée par écrit et que je lirai par la suite. En voici juste les éléments principaux:

Vladimir Nikolaïevitch Gabbine est né en 1892 à Tachkent. Son père est ingénieur militaire, il a deux frères aînés, et trois sœurs.

En 1911, il termine ses études à l'école des cadets et à l’institut militaire de Tachkent et commence sa carrière d’officier au Turkestan.

Le 1eraoût 1914, il est envoyé au front avec le grade de lieutenant et participe à la bataille de Tannenberg du 20 au 30 août dans la 2èmearmée du général Samsonov. Le 30 août, tandis que le général Kliouiev donne l’ordre de reddition, 30 000 soldats et officiers russes sont faits prisonniers, parmi lesquels Vladimir Gabbine. Il est envoyé à Königstein début septembre.

En novembre 1918, le retour des prisonniers est organisé par les puissances via la Croix-Rouge. Vladimir décide de rentrer en Russie.

A Moscou, Vladimir entre à l’Institut d’énergétique, et travaille en même temps comme ingénieur électricien. Il deviendra ingénieur en chef au Bolchoï.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, il accepte une mission à Tachkent, sa ville d’enfance, et y part avec sa femme Maria, qu’il a épousée en 1929, et son fils Gueorgui. Il travaille à Tachkent, puis à Stalinabad, la capitale du Tadjikistan.

Ils rentrent à Moscou en 1945, et il travaille d'abord comme traducteur technique de l'allemand, puis comme ingénieur dans une usine de fours industriels.

En 1953, il lui est alloué une parcelle de terrain à 40 kms de Moscou, où il fait construire une datcha. Le verger et le jardin deviendront son refuge et son plaisir jusqu’à la fin de sa vie, en 1977.

Mais c'est bien sûr beaucoup plus de détails que je veux connaître, non seulement sur l'évasion de Königstein ( et les raisons probables du silence de Vladimir Gabbine sur son camarade français), mais aussi sur la vie de Vladimir Gabbine après son retour en Russie soviétique. Comment était-il possible de survivre sous la "dictature du prolétariat" pour une famille d' "anciens" ayant servi les Tsars comme officiers de son armée?

Au cours de cette soirée de Noël, Gueorgui et sa femme vont répondre à mes questions en essayant de reconstituer l'enchaînement des faits connus, et de comprendre les silences de Vladimir Gabbine sur les maillons inconnus pour eux avant notre rencontre.

C'est par l'histoire de la famille Gabbine que Gueorgui a commencé.

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<![CDATA[13. "Connaissez-vous Vladimir Gabbine?"]]>Une dame répond. Volodia se présente et explique qu’il est à la recherche d’informations sur un Vladimir Gabbine qui en 1914 a été fait prisonnier à Königstein et s’est évadé en compagnie du grand-père de sa femme.

- Est-ce que ce nom vous dit quelque chose ?

-

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https://evasion-a-konigstein.site/12-vladimir-gabbine-je-vous-passe-son-fils/5e9db4e617a1f4128daf25f5Thu, 19 Mar 2020 18:10:54 GMTUne dame répond. Volodia se présente et explique qu’il est à la recherche d’informations sur un Vladimir Gabbine qui en 1914 a été fait prisonnier à Königstein et s’est évadé en compagnie du grand-père de sa femme.

- Est-ce que ce nom vous dit quelque chose ?

- Oui, mais il n’est plus de ce monde depuis longtemps…

- Je comprends, bien sûr, mais quelqu’un pourrait-il me parler de lui ?

- Oui, je vous passe son fils.

-  .....!

Le fils de Vladimir! Il s'appelle Gueorgui. Sa voix n’est pas la voix habituelle d’un homme de 86 ans, elle est étonnamment ferme et énergique.

Que connait Gueorgui de l’histoire de son père à Königstein et de l’évasion ?

« Oui, mon père a été fait prisonnier en 14 et il m’a raconté cette tentative d’évasion qui s’est terminée par son arrestation en Autriche-Hongrie par un gendarme autrichien. Sur la route, le gendarme lui a posé la question : où allez-vous ? Et mon père lui a donné le nom d’un village qu’en fait il avait déjà dépassé. Donc cela a provoqué des soupçons et il l’a arrêté. »

« Vous a-t-il dit qu’il n’était pas seul mais avec un camarade français ? »

« Non, il ne m’en a jamais parlé. ».

!!!?

La question « pourquoi » lui vient aussitôt à l’esprit, mais Volodia enchaîne sur l’autre question que nous nous posons :

« Qu’est devenu votre père après son retour dans la Russie soviétique?

« Il a vécu à Moscou, a travaillé comme ingénieur électricien dans les théâtres de Moscou en particulier au Bolchoï et il est mort en 1977. »

« Vous savez, cette nouvelle est une sorte de soulagement, car ma femme et moi-même nous imaginions un destin beaucoup plus dramatique, étant donné ses origines et son statut dans la Russie tsariste. »

Volodia lui raconte alors l’histoire de la lettre envoyée au début des années 1920 par Vladimir Gabbine à son camarade Léon Dormois. Gueorgui ignorait bien entendu tout de l’ existence de cette lettre.

« Mais comment se fait-il que ce soit maintenant seulement que vous recherchiez tout cela ? »

Volodia explique que nous avons retrouvé relativement récemment les documents, qu’il propose de lui envoyer. Il prend son adresse mail.

Il faut maintenant que Volodia et moi, nous « digérions » toutes ces informations : Vladimir Gabbine a survécu, il a eu même une longue vie, une famille, un bon travail. Ces informations nous émeuvent. Mais ce que Volodia a appris à Gueorgui Gabbine doivent l’émouvoir encore plus, car il s’agit de son père. Il doit maintenant se poser lui aussi la question : pourquoi son père n’a-t-il jamais parlé de Léon ?

Pour Volodia et moi, l’hypothèse que le refus de Léon de l’accueillir l’a déçu ou blessé et qu’il l’a en quelque sorte « effacé » de l’histoire est la plus probable.

J’en parle à mon amie Véronique, bonne connaisseuse de la Russie et de l’histoire russe, qui tout de suite me dit : mais il avait peur ! Il valait mieux ne pas parler à cette époque de relations avec des étrangers.

C’est possible, mais elle ne lève pas entièrement le doute sur la raison de ce silence. On peut comprendre qu’il n’ait pas parlé de la lettre envoyée en France, mais cela ne l’empêchait pas de parler de son compagnon d’évasion. Il a bien parlé de celle-ci, de Königstein. Il a sans doute dit qu’à Königstein il y avait aussi des officiers français. Pourquoi taire un élément aussi important de cette évasion ?

La rencontre à Moscou avec Gueorgui dont ils conviennent avec Volodia apportera-t-elle une réponse à ces questions ?

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<![CDATA[12. De Koenigstein à Moscou]]>Juillet 2018 : nous retournons à Königstein avec Alexis.

Toujours près de l’infirmerie.

Sur le chemin nous avons fait une halte à Térézin. Il s’agit ici d’une véritable ville, construite par les Autrichiens au 18ème siècle. C’est aussi une forteresse. C’était aussi un camp. Mais un

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https://evasion-a-konigstein.site/10-retour-a-koenigstein/5e9db4e617a1f4128daf25f3Thu, 19 Mar 2020 17:06:13 GMTJuillet 2018 : nous retournons à Königstein avec Alexis.

Toujours près de l’infirmerie.

Sur le chemin nous avons fait une halte à Térézin. Il s’agit ici d’une véritable ville, construite par les Autrichiens au 18ème siècle. C’est aussi une forteresse. C’était aussi un camp. Mais un camp de concentration. Pendant la seconde guerre mondiale, la ville a été vidée de ses habitants (expulsés) et transformée en camp de transit pour les Juifs d’Europe centrale, avant qu’on les envoie dans les autres camps, de concentration et d’extermination.

A l’été 2018, nous allons donc à Königstein pour la deuxième fois.

A cette occasion nous réécoutons le récit du grand-père. Un fait attire l’attention de Volodia : le père de Vladimir Gabine était général à Tachkent. Il a peut-être laissé des traces. Il faut vérifier. Sur le google russe, il tape son nom, son grade, Tachkent, Turkestan. Et, sur un site consacré à l’histoire militaire et l’armée tsariste en particulier, sort une courte biographie de Nikolaï Ivanovitch Gabbine (en fait le nom s’écrit avec deux –b-) !! Oui, il était bien général, général d’artillerie, mais il a servi plutôt en tant qu’ingénieur militaire dans cette colonie russe qu’était le Turkestan (conquis par les Russes au milieu du 19ème siècle). Il est indiqué qu’à partir de 1918 il a servi dans l’Armée rouge et est mort en 1940 à Moscou.

Mais si le père a survécu aux purges des années 1930, il est probable que le fils ait eu lui aussi la chance de passer à travers ces années terribles ! Peut-être a-t-il eu des descendants. S’il est resté à Moscou, ceux-ci, des petits-enfants plutôt s’il avait à peu près l’âge du grand-père, pourraient y demeurer encore.

Nous n’avons que son nom, mais la chance que ce soit un nom rare, avec ce double -b- qui est une orthographe très particulière.

Et cette fois, c’est l’annuaire téléphonique de Moscou qui nous apporte une surprise. Et laquelle ! En tapant juste ce patronyme Gabbine, on obtient une réponse : un certain Gueorgui Vladimirovitch Gabbine y figure à l’adresse Kirovogradskaja N°8. Et l’annuaire russe nous fournit même les dates de naissances des abonnés. Ce Gueorgui est né en 1933 !!! La piste se resserre : Gueorgui est bien le fils d’un Vladimir. Avec le nom de famille en plus, et son âge qui rend possible sa filiation, il est presque sûr que c’est notre homme, qui serait non un petit-fils mais le fils lui-même de Vladimir Gabbine ! Il ne reste plus qu’à lui téléphoner.

Etant donné son âge, il ne faudrait pas trop tarder. Néanmoins un an s’écoulera avant que Volodia, en octobre 2019 donc, passant quelques jours à Moscou, prenne son téléphone et compose le numéro.

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<![CDATA[11. La lettre de Vladimir]]>Au début des années 1920, Léon reçoit une lettre de son camarade de camp et d’évasion, Vladimir Gabine. Cette lettre, je l’ai eue entre les mains, montrée par le grand-père puis, après la mort de celui-ci, par mamye à Volodia et à moi. Pourquoi ne lui ai-je pas

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https://evasion-a-konigstein.site/la-lettre-de-vladimir/5e9db4e617a1f4128daf25f8Thu, 19 Mar 2020 17:06:00 GMTAu début des années 1920, Léon reçoit une lettre de son camarade de camp et d’évasion, Vladimir Gabine. Cette lettre, je l’ai eue entre les mains, montrée par le grand-père puis, après la mort de celui-ci, par mamye à Volodia et à moi. Pourquoi ne lui ai-je pas demandé de me la donner ? Pourquoi l’ai-je laissé disparaître après la mort de mamye ?

Je la revois pourtant, cette lettre, pas très longue, une demie ou trois quart de page, écrite en français d’une belle écriture. Pourtant, le grand-père disait qu'il ne parlait pas français. Vladimir Gabine décrit la situation à Moscou, qui est catastrophique. Il n’y a pas de travail, pas de moyen de gagner sa vie ; il dit fabriquer des briquets, qu’il vend pour survivre. Il insiste sur la misère matérielle, et il exprime son désir de venir en France. Il demande si le grand-père pourrait l’aider s’il venait.

Mais Léon lui répond qu’il ne peut pas l’accueillir.

Par la suite, je crois avoir demandé à mamye pourquoi cette réponse, et elle m’aurait répondu qu’ici non plus il n’y avait pas de travail, pas de possibilité pour eux de l’aider.

A cette époque, j’avais étudié à la fac l’histoire de l’URSS et de cette période : révolution, guerre civile, révoltes, répressions, passage à la NEP suite à la paralysie de l’économie et de ses conséquences: famine, marché noir, spéculation… Léon avait-il conscience de ce que vivait son camarade ? A ce moment sans doute pas; mais après ? Je ne me rappelle pas avoir entendu le grand-père ou la mamye exprimer des regrets de ne pas l’avoir accueilli. Peut-être le grand-père en avait-il eu. Mamye, elle, ne connaissait sans doute pas l’histoire de l’Union soviétique.

Plus tard avec Volodia, nous avons essayé d’imaginer le destin de Vladimir Gabine. On arrivait à la conclusion qu’il avait toutes les chances d’avoir été tragique : officier de l’armée tsariste, ayant probablement, vu des origines bourgeoises (ou nobles), fait partie de l’armée blanche, avait-il pu échapper aux incessantes campagnes contre les « contre-révolutionnaires », « saboteurs », « agents de l’étranger » et autres variétés d’ « ennemis du peuple » que le régime inventait dès la fin des années 1920 et qui emplissaient le goulag ? Tout cela sans doute le menaçait déjà quand il écrivit la lettre à Léon. Mais de cela il ne pouvait évidemment pas parler dans sa lettre.

C’était une histoire triste, mais qui faisait partie d’un lointain passé.

Et là, comme par miracle, comme pour célébrer ce centenaire, resurgissent les documents du grand-père, lettre pour la médaille et enregistrement. Et la visite de Königstein nous fait revivre cette incroyable évasion, et le souvenir "du" Gabine.

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