7. La bande

Mai 2016 : la bande !

Nous avions espéré la retrouver à Saint Tropez, cette bande enregistrée par mon père où le grand-père racontait ses évasions, dans un lot des boîtes de plastique gris qui laissaient voir ces bobines marron recelant des trésors, les seules qui nous restaient des temps anciens. Mais les inscriptions étaient toutes morceaux de rock et autres.

Et puis, ce jour de mai, Jean-Paul, mon frère, déblaie une bibliothèque dans son studio à Paris, et soudain me tend une boîte de ce type. Dessus, une inscription : les évasions du grand-père. Nous la tournons et retournons, nous n’y croyons pas. Puis nous crions, nous sautons de joie ! Bon, encore faut-il qu’elle soit exploitable… Depuis ce temps (1964 ou 65) ! Il est écrit aussi « mémé ». Mémé, c’est mémé Marie-Louise, notre arrière-grand-mère de Saint-Tropez. Je ne me rappelais plus du tout que papa l’avait enregistrée.

Quelques jour plus tard : je me rends au laboratoire auquel nous avons confié la précieuse bobine, le cœur un peu battant. Non seulement elle est exploitable, mais le son est excellent, me dit le technicien !

On va enfin connaître les « péripéties » dont parle la lettre.

La bande revient ! La voix de mon père, - je ne me souvenais pas qu’il avait un accent du midi aussi prononcé -, celle du grand-père, si familière, avec ses intonations bien reconnaissables - un léger accent lorrain ?- et l’histoire. Mais elle est singulièrement courte ! 15 minutes à peu près, et j’avais souvenir que ce récit était beaucoup plus long. Déformation du souvenir ?

Non, après écoute, on voit que malheureusement, la fin, où le grand-père racontait sans doute ses deux autres évasions, a été effacée, remplacée par un enregistrement de mon misérable jeu de piano et une conversation avec Jean-Paul, etc. Mais tant pis, c’est déjà un miracle d’avoir remis la main sur la bobine !

Sur les péripéties dont il parle dans la lettre et qui ont marqué son transfert à la forteresse, rien. Mais la suite nous révèle des détails qui vont être comme un fil que nous pourrons dérouler, qui nous mettra sur des pistes que nous allons suivre, avec Michel tout d’abord, et Volodia ensuite.

Dès son arrivée à Königstein, il pense à partir, comme beaucoup de prisonniers. Il fomente d’abord son plan avec le « graf Bennigsen ». "Si vous avez lu « Guerre et paix, dit le grand-père, Tolstoï y parle d’un général Bennigsen. Eh bien c’était l’ancêtre de ce graf " (il emploie le mot allemand, qui est le même en russe, emprunté à l’allemand, au lieu du mot français « comte » pour indiquer ce titre.) C’était un homme très riche qui, selon d’autres Russes, possédait en terres l’équivalent d’un département français. Il parlait plusieurs langues ; anglais, français, allemand… Les autres officiers lui « rendaient les honneurs » lorsqu’ils le voyaient.

Mais le « graf » va se montrer indiscipliné et s’habiller en civil. (Nous voyons en effet dans le film « La grande illusion » que l’interdiction de se mettre en civil était la première consigne donnée aux prisonniers). Il est donc arrêté. Le plan tombe à l’eau.

Un jour, le grand-père se penche à un mur de la forteresse et regarde en bas. « J’en ai vu un autre qui regardait aussi. Vous voudriez bien vous évader, hein, vous aussi ? » Et c’est ainsi qu’il va s’acoquiner avec Vladimir Gabine, un Russe dont le père était général à Tachkent, dans le Turkestan. Ils parlent allemand ensemble. Le grand-père se met à acheter des lacets qui, ajoutés à des ficelles qu’il reçoit dans ses colis, lui permettent de fabriquer un « câble ». Pour ce faire, il se cache dans un grenier, où un jour un Allemand entre pour vérifier des cuves d’eau et manque de le découvrir ! Mais « mon camarade est plus malin que moi : il achète du tissu soi-disant pour faire des chemises ». Avec ce tissu ils font une corde d’une vingtaine de mètres.

La veille du jour prévu pour l’évasion, ils se cachent sous l’infirmerie, dans une sorte de cave. Lors de l’évasion, un des malades devra sortir pour les aider. Mais le problème est que tous les soirs les Allemands font l’appel dans les casemates. Là aussi la solidarité s’organise. « Les camarades ont réussi masquer notre absence en allant d’une casemate à l’autre » pour répondre à l’appel.

La nuit, ils attachent la corde à la barre de fer fichée dans un créneau. Deux Russes sont avec eux. « Les Russes sont très religieux. L’un m’a fait un signe de croix sur le front et m’a embrassé ». L’autre Russe coupera la corde, qu’ils cacheront dans les fourrés. Ils descendent d’abord leurs sacs à dos. Puis ils descendent eux-mêmes. Le grand-père descend le premier. Le Gabine lui dira en arrivant : s’il y avait eu encore plusieurs mètres je n’aurais pas pu y arriver. Il faut dire que le grand-père était un gymnaste accompli.

Puis ils se mettent en route vers le Sud (ils veulent gagner Prague, où Gabine a des connaissances). Et là « nous avons commis une grosse faute. Au lieu de rester en pleine campagne, nous avons gagné une route ». Je ne peux m’empêcher ici de penser à mon autre grand-père. Lui aussi commettra une faute, qui lui coûtera la vie. Lorsque la Résistance l’envoie à Besançon, il a pour consigne de ne pas aller dormir chez les contacts. Épuisé, ne sachant pas où aller, il ira quand même et tous seront arrêtés.

Sur cette route, ils rencontrent des gendarmes autrichiens. Ceux-ci, leur trouvant un air bizarre, à cause de leurs habits, dit le grand-père, leur demandent leurs papiers ; ils finissent par être obligés de leur dire qu’ils se sont évadés de Königstein. Ils sont conduits à Litomeiertz, où ils sont enfermés par les gendarmes qui préviennent les Allemands.

Mais ces gendarmes « ont été chics ; ils nous apportent d’abord un menu pour notre repas. Puis l’un d’entre eux dit : non, venez avec nous, et ils nous emmènent dans un restaurant. Oui, ils ont été vraiment corrects, chics ». Certes !!!

Les Allemands les ramènent par le train. « Et là, ça ne rigole plus ». La population les regarde passer. Des enfants se moquent d’eux, mais une mère les fait taire, en leur faisant la leçon, semble-t-il au grand-père, qui pense qu’elle leur dit « ce sont des soldats, ils ont fait leur devoir en s’évadant ». Le grand-père est mis en cellule, gardé par une sentinelle qui le met en joue au moindre geste. Ils ont sans doute été décrits comme de dangereux évadés.

Ils vont passer en conseil de guerre au tribunal de Dresde. Ils sont condamnés à deux mois de forteresse… à Königstein. Lorsque le commandant de la forteresse l’apprend, il se récrie : mais ils y étaient déjà, en forteresse ! Un deuxième conseil est donc organisé. Et là, c’est à la prison de Dresde qu’ils se retrouvent, dans une cellule. « On était dans une cellule, là on était mal nourris. On mangeait des harengs ». Je crois comprendre qu’il est là avec Gabine. J’imagine quelle amitié a pu se forger au cours de cette épopée.

Le récit s’interrompt ici.

La troisième étape, après la découverte de la lettre, puis de la bande, ne peut être qu’un voyage à Königstein.

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