15. Avant 1914. Une famille russe au Turkestan
L’histoire de la famille Gabbine commence en Asie Centrale. Le grand-père de Vladimir, Ivan, est arrivé dans cette région en tant que « missionnaire » dans la deuxième moitié du 19èmesiècle. Après la prise de Tachkent, de Samarcande et l'établissement du protectorat sur les émirats de Boukhara et Kokand par l'armée russe commence l'histoire de la colonisation. Les Gabbine sont en quelque sorte des "pieds-noirs" russes.
Nikolaï Karazin "Entrée des troupes russes à Samarcande le 8 juin 1868", 1888 (Musée russe de Saint-Pétersbourg)
L'auteur du tableau, officier de l'armée tsariste qui a participé à la conquête de l'Asie centrale a écrit un livre intitulé "du Nord vers le Sud", dans lequel il mentionne le missionnaire Ivan Gabbine.
C’est le début de la colonisation de l’Asie centrale par la Russie, qui lui donne le nom de Gouvernement général du Turkestan (à l’époque soviétique, cette région sera divisée en 5 républiques, qui sont aujourd’hui 5 Etats indépendants). C’est ici, à Samarcande, que naît Nikolaï Ivanovitch Gabbine, le père de Vladimir. Mais sa vie se déroulera surtout à Tachkent. Il deviendra général de l’armée du Tsar, mais travaille comme ingénieur: il supervise la construction d’infrastructures (création du réseau d’eau courante à Tachkent), usines, filatures de coton... C’est là que verront le jour ses 6 enfants, dont Vladimir.
Les portes de la ville de Tachkent
Voici la description de Samarcande en 1901, par un voyageur russe, A. Markov:
"La Samarcande russe est un endroit d'un charme que l'on n'attendrait pas dans ce pays de barbares. Les rues larges, parfaitement pavées, forment de longues perspectives à droite et à gauche et se croisent avec une régularité géométrique. Les saules géants, comme nous n'en n'avons pas en Russie, les bordent en plusieurs rangs comme de vertes sentinelles, ne laissant pas passer les rayons du soleil qui se lève. A leurs pieds, avec un gazouillement joyeux coule l'eau dans les "aryks" sans lesquels aucune végétation, aucune vie n'est possible au Turkestan.
Partout règnent l'ordre et la propreté. On voit tout de suite qu'ici tout est créé par la force militaire; c'est elle qui pave les routes, qui construit, qui plante, qui irrigue.
Je suis depuis longtemps arrivé à la conviction que le Russe est un homme étonnant, s'il est dirigé par une discipline sévère. L'Anglais, c'est tout le contraire. Il étonne là où il peut manifester sa personnalité et sa liberté d'initiative. Les meilleurs exemples en sont nos moines et nos soldats: une exploitation paysanne russe naturellement négligée se transforme en une ferme hollandaise propre et pimpante quelque part au monastère des Solovki dans le cadre strict du règlement monastique. Et ce que peut accomplir notre soldat sur l'ordre du chef, cela est bien connu de tous ceux qui ont visité nos provinces orientales, civilisées par l'armée russe."
https://rus-turk.livejournal.com/253272.html
C’est à Tachkent que verront le jour et grandiront les 6 enfants du général: trois garçons, dont Vladimir, et trois filles.
Gueorgui Gabbine nous a transmis des extraits des souvenirs de sa tante, l’une de ces trois filles :
« Enfants, nous vivions à Tachkent, rue Shahrisabs, dans une grande maison entourée d’un verger. Au service de notre famille il y avait une femme de chambre, une cuisinière, un cuisinier, un jardinier -ouzbek- et une ordonnance. Une gouvernante française, Mademoiselle Godard s’occupait des enfants. C’est une musicienne de renom, Sofia Vontsovskaïa, qui donnait des cours de piano aux filles » (Notons que les trois sœurs deviendront après la révolution musiciennes professionnelles, comme beaucoup de jeunes filles de l’aristocratie).
Dans la mémoire de Vladimir, cette enfance à Tachkent restera comme le souvenir d'un paradis perdu.
Les sœurs de Vladimir font leurs études au lycée de filles:
Vladimir, comme ses deux frère aînés, suit une formation militaire et devient officier. Cette formation commence dans l'Ecole des cadets à Tachkent.
Il entre ensuite à l’Institut militaire de Tachkent et commence sa carrière d’officier au Turkestan*.
Vladimir élève officier avec ses soeurs Vladimir avec ses soeurs Nina et Nina et Eléna Valentina