13. "Connaissez-vous Vladimir Gabbine?"
Une dame répond. Volodia se présente et explique qu’il est à la recherche d’informations sur un Vladimir Gabbine qui en 1914 a été fait prisonnier à Königstein et s’est évadé en compagnie du grand-père de sa femme.
- Est-ce que ce nom vous dit quelque chose ?
- Oui, mais il n’est plus de ce monde depuis longtemps…
- Je comprends, bien sûr, mais quelqu’un pourrait-il me parler de lui ?
- Oui, je vous passe son fils.
- .....!
Le fils de Vladimir! Il s'appelle Gueorgui. Sa voix n’est pas la voix habituelle d’un homme de 86 ans, elle est étonnamment ferme et énergique.
Que connait Gueorgui de l’histoire de son père à Königstein et de l’évasion ?
« Oui, mon père a été fait prisonnier en 14 et il m’a raconté cette tentative d’évasion qui s’est terminée par son arrestation en Autriche-Hongrie par un gendarme autrichien. Sur la route, le gendarme lui a posé la question : où allez-vous ? Et mon père lui a donné le nom d’un village qu’en fait il avait déjà dépassé. Donc cela a provoqué des soupçons et il l’a arrêté. »
« Vous a-t-il dit qu’il n’était pas seul mais avec un camarade français ? »
« Non, il ne m’en a jamais parlé. ».
!!!?
La question « pourquoi » lui vient aussitôt à l’esprit, mais Volodia enchaîne sur l’autre question que nous nous posons :
« Qu’est devenu votre père après son retour dans la Russie soviétique?
« Il a vécu à Moscou, a travaillé comme ingénieur électricien dans les théâtres de Moscou en particulier au Bolchoï et il est mort en 1977. »
« Vous savez, cette nouvelle est une sorte de soulagement, car ma femme et moi-même nous imaginions un destin beaucoup plus dramatique, étant donné ses origines et son statut dans la Russie tsariste. »
Volodia lui raconte alors l’histoire de la lettre envoyée au début des années 1920 par Vladimir Gabbine à son camarade Léon Dormois. Gueorgui ignorait bien entendu tout de l’ existence de cette lettre.
« Mais comment se fait-il que ce soit maintenant seulement que vous recherchiez tout cela ? »
Volodia explique que nous avons retrouvé relativement récemment les documents, qu’il propose de lui envoyer. Il prend son adresse mail.
Il faut maintenant que Volodia et moi, nous « digérions » toutes ces informations : Vladimir Gabbine a survécu, il a eu même une longue vie, une famille, un bon travail. Ces informations nous émeuvent. Mais ce que Volodia a appris à Gueorgui Gabbine doivent l’émouvoir encore plus, car il s’agit de son père. Il doit maintenant se poser lui aussi la question : pourquoi son père n’a-t-il jamais parlé de Léon ?
Pour Volodia et moi, l’hypothèse que le refus de Léon de l’accueillir l’a déçu ou blessé et qu’il l’a en quelque sorte « effacé » de l’histoire est la plus probable.
J’en parle à mon amie Véronique, bonne connaisseuse de la Russie et de l’histoire russe, qui tout de suite me dit : mais il avait peur ! Il valait mieux ne pas parler à cette époque de relations avec des étrangers.
C’est possible, mais elle ne lève pas entièrement le doute sur la raison de ce silence. On peut comprendre qu’il n’ait pas parlé de la lettre envoyée en France, mais cela ne l’empêchait pas de parler de son compagnon d’évasion. Il a bien parlé de celle-ci, de Königstein. Il a sans doute dit qu’à Königstein il y avait aussi des officiers français. Pourquoi taire un élément aussi important de cette évasion ?
La rencontre à Moscou avec Gueorgui dont ils conviennent avec Volodia apportera-t-elle une réponse à ces questions ?